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qu’on appelle ici-bas des puissants, quelque grand qu’il puisse être, n’est qu’une faiblesse ridicule ; et là où les méchants semblent pouvoir davantage, la fosse se creuse pour le pécheur. Le juste au contraire chante et dit : « Heureux l’homme que vous instruisez, Seigneur, et que vous éclairez par votre loi. Il sera en paix aux jours de l’infortune, quand la fosse se creusera pour le pécheur. Car le Seigneur ne rejettera pas son peuple, et il ne délaissera pas son héritage, jusqu’à ce que la justice revienne au jugement, et près d’elle sont tous ceux qui ont le cœur droit (Ps., XCIII, 12-15 ) ». Ainsi donc, si l’époque où le peuple de Dieu sera puissant est encore différée, Dieu « ne rejettera pas son peuple et il ne délaissera pas son héritage », quelques rigueurs, quelques indignités que celui-ci éprouve dans son humilité et dans sa faiblesse, « jusqu’à ce que la justice », à laquelle les hommes pieux restent fidèles dans leur infirmité, « revienne au jugement », c’est-à-dire reçoive le pouvoir de juger : honneur réservé aux justes, quand la puissance succédera en son temps à la justice qui l’aura précédée. En effet, la puissance accordée à la justice, ou la justice appuyée sur la puissance, constitue le pouvoir judiciaire. Or, la justice appartient à la bonne volonté ; ce qui a fait dire aux anges lors de la naissance du Christ : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et, sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté (Luc., II, 14 ) ». Mais la puissance doit suivre la justice, et non la précéder ; voilà pourquoi elle a sa place dans la prospérité, (res secundœ, secundœ venant de sequor). En effet, deux choses, comme nous l’avons expliqué plus haut, constituent le bonheur : vouloir le bien et pouvoir ce que l’on veut. Or, ce serait un désordre, et ce désordre est impossible, si, comme nous l’avons également exposé, l’homme avait le choix de pouvoir ce qu’il veut, sans s’inquiéter de ce qu’il doit vouloir : tandis qu’au contraire il doit d’abord avoir une bonne volonté et ensuite un grand pouvoir. Or, une bonne volonté doit être exempte des vices dont l’effet est, quand ils dominent l’homme, de l’entraîner à vouloir le mal. Alors que deviendrait sa bonne volonté ? Il faut donc désirer aussi le pouvoir, mais le pouvoir de triompher des vices. Or, ce n’est pas pour vaincre leurs vices que les hommes désirent être puissants, mais pour dominer leurs semblables. Et à quoi bon, sinon pour être de vrais vaincus et de faux vainqueurs ; pour être réputés vainqueurs, sans l’être réellement ? Que l’homme désire donc être prudent, qu’il désire être fort, tempérant, juste, et qu’il souhaite le pouvoir de le devenir sérieusement ; qu’il ambitionne d’être puissant en lui-même, et chose étrange t contre lui-même pour lui-même. Quant aux autres avantages qu’il a raison de désirer, mais qu’il ne peut encore posséder, comme l’immortalité, par exemple, et le bonheur véritable et parfait, qu’il ne cesse de les poursuivre de ses vœux et de les attendre avec patience.

CHAPITRE XIV. LA MORT VOLONTAIRE DU CHRIST A SAUVÉ LES HOMMES CONDAMNÉS A MORT.

18. Quelle est donc la justice qui a vaincu le démon ? Pas d’autre que celle de Jésus-Christ. Et comment le démon a-t-il été vaincu ? Parce que ne trouvant rien en Jésus-Christ qui méritât la mort, il l’a néanmoins fait mourir. Evidemment il est donc juste que les débiteurs qu’il enchaînait soient libérés, quand ils croient en Celui qu’il a fait mourir quoiqu’il ne dût rien. Voilà en quel sens on dit que nous sommes justifiés par le sang du Christ (Rom., V, 9 ). Ainsi ce sang innocent a été répandu pour la rémission de nos péchés. Voilà aussi pourquoi le Christ se dit, par la voix du Psalmiste, libre entre les morts (Ps., LXXXVII, 6 ). Car seul il est mort affranchi de la dette de la mort. C’est ce qui lui fait dire dans un autre psaume : « J’ai payé ce que je ne devais pas (Ps., LXVIII, 5 ) » : et par dette ici il entend le péché, espèce de rapine commise contre la loi. Aussi a-t-il dit de sa propre bouche, d’après l’Evangile : « Voilà que le « prince de ce monde est venu, et il n’a rien trouvé en moi », c’est-à-dire il n’y a trouvé aucun péché ; « mais afin que tous sachent que je fais la volonté de mon Père, levez-vous, sortons d’ici (Jean, XIV, 30, 31 ) ». Et il s’en va à sa passion, pour acquitter, lui qui ne devait rien, la dette que nous avions contractée. Ce droit si bien fondé sur l’équité aurait-il triomphé du démon, si le Christ eût voulu agir en vertu de la puissance, et non par la