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CHAPITRE XIII.

OPINION DE CEUX QUI ONT VOULU REPRÉSENTER L’ÂME PAR L’HOMME ET LES SENS PAR LA FEMME.

20. Je sais que, dans les temps qui nous ont précédés, d’excellents défenseurs de la foi catholique et commentateurs des divines Ecritures, en cherchant ces deux principes dans l’homme pris à part, et croyant voir une sorte de paradis dans son âme tout entière, ont pensé que l’homme représentait l’intelligence et la femme le sens du corps. En y réfléchissant sérieusement, tout semblerait s’accommoder parfaitement à cette hypothèse que l’homme est l’intelligence et la femme le sens corporel ; si ce n’est qu’il est écrit que, parmi tous les animaux et tous les oiseaux, on ne trouva point d’aide semblable à l’homme, et qu’alors la femme fut tirée de son côté (Gen., II, 20-27 ). Voilà pourquoi je n’admets pas que la femme représente le sens corporel, puisque nous voyons qu’il nous est commun avec les animaux ; j’ai cherché quelque chose qui manquât à ceux-ci, et j’ai préféré voir le sens corporel représenté par le serpent qui nous est donné pour le plus rusé de toutes les bêtes de la terre (Id., III, 1 ). En effet, entre les biens naturels qui nous sont communs avec les animaux privés de raison, il possède à un haut degré une certaine vivacité de sens ; non pas ce sens dont il est parlé dans ce passage de l’épître aux Hébreux : « C’est pour les parfaits qu’est la nourriture solide, pour ceux qui ont habituellement exercé leurs sens au discernement du bien et du mal (Heb., V, 14 ) » ; car ces sens de la nature raisonnable appartiennent à l’intelligence ; mais ce sens quintuple, distribué en diverses parties du corps, et à l’aide duquel, non-seulement l’homme, mais les animaux perçoivent les figures et les mouvements. 21. Du reste, de quelque manière qu’on interprète les paroles de l’Apôtre appelant l’homme l’image et la gloire de Dieu, et la femme la gloire de l’homme ( I Cor., XI ; 7 ), il reste évident que, quand nous vivons selon Dieu, notre âme, attentive à ses perfections invisibles,.doit se former à son propre avantage sur son éternité, sa vérité, sa charité ; mais qu’une partie de notre attention rationnelle, c’est-à-dire de notre âme, doit être appliquée à l’usage des choses changeantes et matérielles, sans lesquelles cette vie est impossible ; et cela, non pour nous conformer à ce siècle (Rom., XII, 2 ), en établissant notre fin dans ces biens et en dirigeant vers eux le désir du bonheur, mais pour agir en vue d’acquérir les biens éternels, dans tout ce que nous faisons de raisonnable dans l’usage des biens temporels, prenant ceux-ci en passant et ne nous attachant qu’à ceux-là.


CHAPITRE XIV.

DIFFÉRENCE ENTRE LA SAGESSE ET LA SCIENCE. LE CULTE DE DIEU CONSISTE DANS SON AMOUR. COMMENT LA SAGESSE DONNE LA CONNAISSANCE INTELLECTUELLE DES CHOSES ÉTERNELLES.

La science a aussi sa juste mesure : c’est quand ce qui enfle ou a coutume d’enfler en elle est dominé par la charité éternelle qui, elle, n’enfle pas, comme nous le savons, mais édifie (I Cor., VIII, 1 ). Sans la science, en effet, on ne saurait acquérir les vertus qui font la bonne conduite et guident à travers cette misérable vie, de manière à atteindre la vie éternelle, qui est proprement la vie heureuse. 22. Cependant il y a une différence entre la contemplation des choses éternelles et l’action qui consiste dans l’usage des choses temporelles : la première est attribuée à la sagesse, la seconde à la science. Quoiqu’on puisse aussi donner à la sagesse proprement dite le nom de science, dans le sens où l’Apôtre dit « Maintenant je connais imparfaitement ; mais alors je saurai aussi bien que je suis connu moi-même (Id., XIII, 12 ) » — et par science, il entend ici évidemment la contemplation de Dieu, qui est la sublime récompense des saints ; —cependant quand le même Apôtre dit ailleurs : « A l’un est donnée par l’Esprit la parole de sa gesse, à un autre la parole de la science « selon le même Esprit (Id., XII, 8 ), il distingue sans aucun doute entre ces deux choses, bien qu’il n’explique pas en quoi elles diffèrent ni à quel signe on peut les reconnaître. Mais en lisant et relisant les saintes Ecritures, j’ai trouvé, dans le livre de Job, ces paroles attribuées au saint homme : « La piété, voilà la sagesse ; la fuite du mal, voilà la science (Job., XXVIII, 28 ) ». Cette distinction fait comprendre que la sagesse appartient à la contemplation et la science à l’action. Par piété, Job entend ici le culte de Dieu, ce que les Grecs appellent