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souples et dociles à subir la volonté de l’âme de la mère et l’impression qu’a laissée dans son imagination l’aspect du corps qu’elle a contemplé avec passion. On en pourrait citer de nombreux exemples ; mais il suffit de rappeler, d’après le témoignage de nos infaillibles Ecritures, ce que fit Jacob pour obtenir des agneaux et des chevreaux de diverses couleurs, en plaçant dans un abreuvoir des baguettes bigarrées, pour frapper les yeux des mères qui s’y désaltéraient au moment de la conception (Gen., XXX, 37-41 ).


CHAPITRE III. IL SE FORME DANS LA PENSÉE UNE TRINITÉ DE LA MÉMOIRE, DE LA VISION INTÉRIEURE ET DE LA VOLONTÉ QUI LES UNIT.


6. Mais l’âme raisonnable se dégrade en vivant selon la trinité de l’homme extérieur, c’est-à-dire quand elle applique aux choses du dehors qui forment le sens corporel, non une volonté droite qui les- ramène à un but utile, mais une passion honteuse qui l’attache à un objet. Car même en l’absence de l’objet sensible, il en reste dans la mémoire une ressemblance où la volonté fixe de nouveau son regard pour en prendre la forme intérieurement, comme le sens extérieur la prenait en présence de l’objet lui-même. C’est ainsi que la trinité se forme de la mémoire, de la vision intérieure, et de la volonté qui les unit. Et c’est de la réunion de ces trois choses en une, que la pensée a pris son nom, cogitatio a coactu. Mais dès lors elles ne sont plus de substance différente. En effet, là il n’y a plus de corps sensible différent de la nature animée, ni sens du corps informé pour produire la vision, ni volonté agissant pour appliquer le sens à informer sur l’objet sensible et l’y fixer ensuite ; mais à la place de cette espèce de corps qui était senti extérieurement, succède la mémoire qui conserve l’image dont l’âme s’est pénétrée par l’entremise du sens corporel ; et au lieu de cette vision qui avait lieu au dehors quand le sens était informé par le corps extérieur, il reste dedans une vision semblable, alors que la vue de l’âme se forme sur le souvenir de la mémoire et qu’elle pense à des corps absents. Et de même que la volonté appliquait au dehors le sens à informer sur le corps présent et les unissait, ainsi elle tourne le regard de l’âme vers la mémoire pour qu’il se forme d’après ce que celle-ci a retenu, et qu’ainsi une vision semblable se reproduise dans la pensée.

Or, comme la raison distinguait entre le corps visible qui formait le sens corporel, et la ressemblance de ce corps qui avait lieu dans le sens informé et d’où résultait la vision

— deux choses tellement unies qu’on eût pu, sans cela, les confondre — ; de même, quand l’âme pense à l’espèce de corps qu’elle a vu ; sou imagination formée de la ressemblance du corps conservée par la mémoire et de celle qui en naît dans le regard de l’âme qui se souvient, paraît cependant tellement une, tellement simple, que ses deux éléments ne peuvent être distingués que par un jugement de la raison, laquelle nous fait comprendre qu’autre chose est ce que la mémoire retient, même quand la pensée en vient d’ailleurs, et autre chose ce qui se passe quand nous nous rappelons, c’est-à-dire quand nous revenons à notre mémoire et y retrouvons la même apparence. Si celle-ci n’y était plus, nous dirions que nous avons oublié de manière à ne pouvoir plus nous souvenir. D’autre part, si le regard de celui qui se souvient n’était pas formé de ce qui existe dans la mémoire, il n’y aurait plus vision dans la pensée ; mais l’union des deux, c’est-à-dire de ce que la mémoire retient, et de ce qui en résulte pour former le regard de la pensée, et leur parfaite ressemblance, ont qu’on croit n’y voir qu’une seule et même chose. Puis, quand le regard de la pensée s’est détourné et a cessé de voir ce qu’il voyait dans la mémoire, il ne reste plus rien de la forme qui s’était imprimée en lui ; et il en prendra une autre, en se tournant ailleurs, pour former une autre pensée. Cependant la mémoire conserve ce qu’il y a laissé, afin qu’il puisse s’y tourner encore quand le souvenir nous en reviendra, s’y former de nouveau et ne faire plus qu’un avec l’objet même dont il est formé.


CHAPITRE IV. COMMENT SE FAIT CETTE UNITÉ.


7. Mais si la volonté, qui porte et reporte de tout côté le regard à informer et l’unit à son objet quand il est formé, si la volonté, dis-je, se concentre tout entière dans l’image intérieure, détourne entièrement le regard de l’esprit des corps qui environnent les sens et des sens eux-mêmes, et s’attache