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placeront-ils les uns et les autres, sinon dans le même sujet, le corps ? 16. Mais ni les uns ni les autres ne s’aperçoivent que l’âme se connaît dès lors qu’elle se cherche, comme nous l’avons montré plus haut. Or on ne peut régulièrement dire qu’une chose est connue, si on ignore quelle en est la substance. Donc, dès que l’âme se connaît, elle connaît sa substance ; et si elle est certaine de son existence, elle l’est aussi de sa substance. Or, elle est certaine d’elle-même, comme nous l’avons prouvé plus haut ; et elle n’est nullement certaine qu’elle soit air, feu, ou corps ou partie d’un corps. Elle n’est donc rien de cela ; et l’ordre de se connaître elle-même, tend à lui donner la certitude qu’elle n’est aucune des choses dont elle est incertaine, et qu’elle ne doit tenir pour certain que d’être ce qu’elle sait certainement qu’elle est. Elle pense au feu, par exemple, à l’air, à un corps quelconque ; eh bien ! il ne serait pas possible qu’elle pensât à ce qu’elle est elle-même, comme elle pense à ce qu’elle n’est pas. En effet, c’est à l’aide de l’imagination qu’elle pense à toutes ces choses, au feu, à l’air, à tel et tel corps, à telle partie de corps, à la construction et à l’organisation du corps ; et on ne dit pas qu’elle soit toutes ces choses, mais l’une d’elles seulement. Or, si elle était réellement l’une d’elles, elle y penserait autrement qu’elle ne pense à tout le reste, c’est-à-dire non plus à l’aide de l’imagination — comme cela arrive pour les corps absents, avec lesquels les sens ont été en contact, soit qu’il s’agisse d’eux ou de quelques similaires, — mais au moyen d’une présence intime, non imaginaire, mais réelle — car rien n’est plus présent à elle-même qu’elle-même — comme elle pense qu’elle vit, qu’elle se souvient, qu’elle comprend et qu’elle veut. Car elle sait que ces facultés sont en elle : elle ne se les imagine pas comme des choses extérieures et sensibles,, comme des objets matériels et palpables. Si elle se dépouille de ces images étrangères et ne se figure pas qu’elle soit quelque chose de ce genre, tout ce qui lui restera d’elle-même, ce sera elle-même et rien qu’elle-même.


CHAPITRE XI.

DANS LA MÉMOIRE, L’INTELLIGENCE ET LA VOLONTÉ ON TROUVE L’ESPRIT, LA SCIENCE ET L’ACTION. LA MÉMOIRE, L’INTELLIGENCE ET LA VOLONTÉ SONT UNE SEULE CHOSE QUANT À L’ESSENCE, ET TROIS CHOSES RELATIVEMENT L’UNE À L’AUTRE.

17. Laissons donc un moment de côté les autres facultés que l’âme se reconnaît avec certitude, attachons-nous surtout à étudier ces trois choses : la mémoire, l’intelligence, la volonté. C’est par ces trois facultés en effet qu’on discerne le naturel, même chez les enfants. Plus la mémoire est facile et tenace chez un enfant, plus il a de perspicacité dans l’intelligence et d’ardeur à l’étude, plus aussi son génie promet. Mais quand il s’agit de l’instruction de quelqu’un, on ne demande plus si sa mémoire est facile et solide, ni s’il a de la pénétration dans l’esprit ; mais de quoi il se souvient et ce qu’il comprend. Et comme l’estime ne se fonde pas seulement sur la science, mais aussi sur la vertu, on ne se contente pas de savoir de quoi il se souvient et ce qu’il comprend, mais aussi ce qu’il veut, et non encore avec quelle ardeur il veut, mais ce qu’il veut d’abord et jusqu’à quel point il le veut. Car on ne doit louer dans l’âme un amour ardent que quand l’objet qu’elle aime est digne d’être ardemment aimé. Quand donc on parle de ces trois choses : génie, science, usage, le premier point à examiner dans les trois, c’est ce que peut chaque homme par la mémoire, l’intelligence et la volonté. Le second, c’est ce qu’il possède. dans sa mémoire et dans son intelligence, et jusqu’où il est arrivé par l’ardeur de la volonté. En troisième lieu vient l’usage que fait la volonté, quand elle repasse ce qui est renfermé dans sa mémoire et son intelligence, soit qu’elle le rapporte à un but, soit qu’elle s’y borne et y trouve son plaisir et son repos. En effet user, c’est mettre quelque chose à la disposition de la volonté ; et jouir, c’est goûter la satisfaction, non plus de l’espérance, muais de la réalité. Par conséquent quiconque jouit, use : car il met quelque chose au service de la volonté, avec la jouissance pour but ; mais quiconque use, ne jouit pas, si ce qu’il met ainsi à la disposition de la volonté, n’est pas la fin qu’il se propose, mais un moyen pour atteindre un autre but. 18. Comme ces trois choses, la mémoire,