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sens relatif n’est pas comme celui qui existe entre la couleur et le corps coloré, la couleur étant dans le corps coloré comme dans un sujet, sans avoir de substance propre à elle ; puisque le corps coloré est lui-même substance, tandis que la couleur n’est que dans une substance. — Mais ce rapport est comme celui qui existe entre deux amis, lesquels sont tous les deux hommes et par suite substances : hommes dans le sens absolu, amis dans le sens relatif.

6. Cependant quoique celui qui aime ou qui connaît soit substance, que la connaissance soit substance, que l’amour soit substance, et qu’il y ait entre celui qui aime et l’amour, entre celui qui connaît et la connaissance, un rapport analogue à celui qui existe entre deux amis ; quoique les mots âme ou esprit, pas plus que le mot homme, n’aient le sens relatif : néanmoins celui qui aime et l’amour, celui qui connaît et la connaissance ne peuvent pas être séparés l’un de l’autre, comme deux hommes qui sont amis. Sans doute quand deux amis semblent séparés de corps, ils ne le sont point de cœur, en tant qu’ils sont amis. Toutefois il peut arriver qu’un ami commence à avoir de l’aversion pour son ami et cesse par là même d’être son ami, à l’insu de celui-ci qui continue à l’aimer. Mais si l’amour dont l’âme s’aime vient à cesser, l’âme elle-même cesse d’aimer. De même si la connaissance que l’âme a d’elle-même cesse, l’âme cesse en même temps de se connaître. Ainsi la tête d’un corps qui a une tête est évidemment tête, et il existe entre eux un sens relatif, bien qu’ils soient tous les deux substances : car la tête est corps, et l’être qui a une tête est corps. Néanmoins la séparation peut avoir lieu ici, et là elle est impossible.

7. Que s’il y a des corps absolument indivisibles, ils sont cependant composés de parties, sans quoi ils cesseraient d’être corps. Donc le mot de partie n’a de sens que relativement à un tout, puisque toute partie est partie d’un tout, et qu’un tout n’est tout que par toutes ses parties. Mais comme la partie est corps, et que le tout est corps, non-seulement ils ont un sens relatif, mais encore ils sont aussi substance. Serait-ce donc que l’âme est un tout, et que l’amour dont elle s’aime et la connaissance qu’elle a d’elle-même seraient comme ses deux parties, dont la réunion ferait d’elles un tout ? Seraient-ce trois parties égales, qui, ensemble, formeraient un tout ? Mais jamais partie ne renferme le tout dont elle est partie ; or, quand l’âme se connaît tout entière, c’est-à-dire parfaitement, sa connaissance l’embrasse tout entière, et quand elle s’aime parfaitement elle s’aime tout entière, et son amour s’étend à tout son être. Serait-ce comme quand de vin, d’eau et de miel on forme une seule liqueur ; que chacun de ces trois éléments se répand dans le tout, bien qu’il reste cependant trois choses ? En effet il n’y a point de partie dans la potion qui ne renferme ces trois choses : car elles ne sont pas jointes comme le seraient de l’eau et de l’huile, mais tout à fait mêlées ; et toutes les trois sont des substances, et la liqueur entière n’est qu’une seule substance composée de trois éléments ; serait-ce, dis-je, que l’âme, l’amour et la connaissance formeraient ensemble quelque chose d’analogue ? Mais l’eau, le vin et le miel ne sont pas de même substance, quoique leur mélange ne forme qu’une seule substance de liqueur. Là, au contraire, — je ne vois pas comment les trois choses ne seraient pas de même substance, puisque l’âme s’aime elle-même et se connaît elle-même, et que ces trois choses existent de telle sorte que l’âme n’est aimée ni connue d’aucun être étranger. Elles sont donc nécessairement toutes les trois d’une seule et même essence ; tellement que si elles n’étaient unies que par mélange, elles ne seraient trois en aucune manière et n’auraient aucun rapport entre elles. Ainsi, par exemple, si du même or vous faites trois anneaux semblables, quoique unis ensemble, ils ont entre eux un rapport, celui de similitude, car tout semblable est semblable à quelque chose ; il y a trinité d’anneaux et unité d’or. Mais si on les mêle ensemble, que la substance de chacun d’eux se confonde dans toute la masse, alors la trinité disparaît complètement : non-seulement on dira qu’il y a unité d’or, comme on le disait déjà des trois anneaux, mais on ne parlera plus de trois objets en or.


CHAPITRE V. L’AME, L’AMOUR ET LA CONNAISSANCE DE SOI, SONT EN MÊME TEMPS DISTINCTS ET TOUT ENTIERS L’UN DANS L’AUTRE.


8. Mais ici, quand l’âme se connaît et s’aime, la trinité reste : âme, amour, connaissance ; il