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demeure dans la lumière, et le scandale n’est point en lui ( Jean, II, 19. ) ». Il est évident qu’il place la perfection dans l’amour du prochain car celui en qui le scandale n’existe pas est parfait. Néanmoins il semble passer l’amour de Dieu sous silence : ce qu’il ne ferait certainement pas, s’il ne renfermait Dieu lui-même dans l’amour fraternel. Et la preuve, c’est qu’un peu plus bas, dans la même épître, il nous dit en termes très-clairs : « Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, parce que la charité est de Dieu. Ainsi quiconque aime, est né de Dieu et connaît Dieu. Qui n’aime point, n’aime pas Dieu, parce que Dieu est charité ». Ce contexte fait voir assez clairement que, selon cette autorité d’un si grand poids, la charité fraternelle — car la charité fraternelle est l’amour que nous nous portons les uns aux autres — non-seulement est de Dieu, mais est Dieu même, Ainsi donc, si notre amour pour notre frère vient de la charité, il vient de Dieu ; et il ne peut se faire que nous n’aimions avant tout l’amour même qui nous fait aimer un frère. D’où il faut conclure que ces deux préceptes sont inséparables. Car, puisque « Dieu est charité », celui qui aime la charité aime certainement Dieu ; or, celui qui aime son frère aime nécessairement la charité. Aussi l’Apôtre ajoute peu après : « Celui qui n’aime point son frère « qu’il voit, ne peut aimer Dieu qu’il ne voit point (Id., IV, 7, 8, 20. ) » et la raison pour laquelle il ne voit point Dieu, c’est qu’il n’aime pas son frère. Car celui qui n’aime pas son frère n’est pas dans l’amour, et celui qui n’est pas dans l’amour n’est pas en Dieu, puisque Dieu est amour. Or, celui qui n’est pas en Dieu n’est pas dans la lumière, puisque « Dieu est lumière et qu’il n’y a point en lui de ténèbres(Id., I, 5 ) ». Qu’y a-t-il donc d’étonnant à ce que celui qui n’est pas dans la lumière ne voie pas la lumière, c’est-à-dire ne voie pas Dieu, puisqu’il est dans les ténèbres ? Seulement il voit son frère des yeux du corps avec lesquels on ne peut voir Dieu. Mais s’il aimait d’une charité spirituelle celui qu’il voit des yeux du corps, il verrait Dieu, qui est la charité même, de cet œil intérieur par lequel ou. peut le voir. Comment donc celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, pourra-t-il aimer Dieu, qu’il ne voit pas, et qu’il ne voit pas précisément parce que Dieu est amour, l’amour que n’a pas celui qui n’aime pas son frère ? Et qu’on ne demande pas combien d’amour nous devons à un frère et combien à Dieu ; nous en devons incomparablement plus à Dieu qu’à nous, et autant à un frère qu’à nous-mêmes ; mais nous nous aimons d’autant plus nous-mêmes, que nous aimons Dieu davantage. C’est donc par un seul et même amour que nous aimons Dieu et le prochain ; mais nous aimons Dieu pour Dieu, et nous-mêmes et le prochain pour Dieu.


CHAPITRE IX.

L’AMOUR DU TYPE IMMUABLE DE LA JUSTICE EST LE PRINCIPE DE NOTRE AMOUR POUR LES JUSTES.


13. Qu’est-ce, je vous demande, que cette flamme qui brûle en nous quand nous entendons ou lisons les paroles suivantes ? « Voici maintenant un temps favorable, voici maintenant un jour de salut. Ne donnant à personne aucun scandale, afin que notre ministère ne soit point décrié, montrons-nous, au contraire, en toutes choses, comme des ministres de Dieu, par une grande patience dans les tribulations, dans les nécessités, dans les angoisses, sous les coups, dans les prisons, dans les séditions, dans les travaux, dans les veilles, dans les jeûnes ; par la pureté, par la science, par la longanimité, par la mansuétude, par l’Esprit-Saint, par une charité sincère, par la parole de vérité, par les armes de la justice à droite et à gauche ; dans la gloire et l’ignominie, dans la mauvaise et la bonne réputation ; comme séducteurs et cependant sincères ; comme inconnus et toutefois très-connus ; comme mourants, et voici que nous vivons ; comme châtiés, mais non mis à mort ; comme tristes, mais toujours dans la joie ; comme pauvres, mais enrichissant beaucoup d’autres ; comme n’ayant rien et possédant tout (II Cor., VI, 2-10. ) ». Pourquoi cette lecture nous enflamme-t-elle d’amour pour l’apôtre Paul, sinon parce que nous croyons qu’il a vécu selon le modèle qu’il trace ? Or, que les ministres de Dieu doivent vivre de la sorte, ce n’est pas sur la parole des autres que nous le croyons ; mais nous le voyons en nous, ou plutôt au-dessus de nous, dans la vérité même. C’est donc d’après ce que nous voyons que