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est mon ami. Car il n’a commencé de l’être que du jour où il a commencé de m’aimer ; en sorte que ce titre d’ami implique en lui un certain changement de volonté. S’agit-il d’une pièce d monnaie avec laquelle je paie ? C’est sans changer et dans un sens relatif qu’elle devient ou un prix ou un gage ou toute autre chose. Ainsi une pièce de monnaie peut prendre bien des noms et les perdre sans que sa valeur substantielle et intrinsèque en soit altérée. Mais combien plus facilement dirons-nous du Dieu immuable et éternel que tout ce qui se produit dans le temps et par rapport aux créatures, ne tombe point sur sa substance, et ne se dit de lui que relativement à la créature ! « Seigneur, dit le psalmiste, vous êtes devenu notre refuge (Ps., LXXXIX, 1 ) ». Mais ici ce mot refuge ne s’applique à Dieu que relativement, tandis qu’à.notre égard il se prend dans un sens précis et direct. Et en effet, de ce que Dieu devient notre refuge, lorsque nous avons recours à lui, pouvons-nous conclure qu’il éprouve dans sa nature, ou substance, une modification quelconque, modification qui n’existait pas avant que nous n’eussions recours à lui ? Non, sans doute, et c’est en nous seulement qu’il s’opère quelque changement, puisque de mauvais que nous étions précédemment, nous devenons bons en prenant le Seigneur pour notre refuge. L’homme change, mais Dieu demeure immuable. Ainsi encore le Seigneur commence à devenir notre Père lorsque nous sommes régénérés par sa grâce, car « il nous a donné dit saint Jean, le pouvoir de devenir enfants de Dieu (Jean, I, 12 ) ». C’est donc l’homme qui devient meilleur par le fait de son adoption divine ; et si le Seigneur commence alors à devenir son Père, cela n’implique aucun changement en sa nature. Je me résume, et je dis que tout ce qui s’affirme de Dieu comme ayant commencé en lui à une date précise, et comme n’existant pas auparavant, ne s’affirme que relativement. Gardons-nous cependant de croire qu’en lui la substance divine soit modifiée par ces relations accidentelles, car elles n’atteignent que le sujet auquel nous les rapportons. L’homme devient juste en devenant l’ami de Dieu, et ainsi il change. Mais on ne saurait assigner une date à l’amour de Dieu pour cet homme, comme s’il ressentait présentement pour lui un amour qui soit nouveau, et qui n’existait pas auparavant. Un tel langage contredirait en Dieu cette vision qui lui montre le passé comme toujours présent, et le futur comme étant déjà passé. Et en effet, avant toute création Dieu a aimé-ses-élus, et il les a prédestinés à la gloire. Mais lorsque ceux-ci se tournent vers lui, et qu’ils le trouvent, nous disons qu’il commencé à les aimer. Du reste nous ne parlons ainsi que pour nous faire comprendre et pour suppléer à l’imperfection de tout langage humain. Et de même quand Dieu s’irrite. contre les méchants, et qu’il se montre bienveillant envers les bons, ce sont eux qui changent, tandis que lui-même reste immuable. C’est le phénomène de la lumière qui offense un œil malade et réjouit un œil sain. Certes la lumière est toujours la même, et notre œil seul a changé.

Les cinq premiers livres de la Trinité ont été traduits par M. l’abbé DUCHASSAING.