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événements sont tout ensemble présents, passés et futurs ; mais sur la terre, et eu égard à l’homme, ils sont seulement futurs et contingents. De plus, ces mêmes philosophes étaient également incapables d’apprécier les résultats heureux par lesquels toutes choses coopèrent au bien et à la perfection de l’homme, en son corps comme en son âme. Pour suppléer en eux à cette impuissance personnelle de percevoir l’avenir, il eût fallu que les saints anges vinssent les en instruire. Mais Dieu les a jugés indignes de cette faveur, et les esprits célestes ne leur ont rien fait connaître soit par des signes extérieurs et sensibles, soit par des visions imaginatives ou intellectuelles. Nos pères au contraire, les patriarches et les prophètes, ont mérité par l’excellence de leur piété, de recevoir la révélation de l’avenir : et par des miracles opérés en preuve de leur inspiration, ou par la réalisation des prophéties peu après accomplies, ils ont donné à leurs prédictions d’événements éloignés et lointains une autorité qui subsistera jusqu’à la fin du monde. Quant aux esprits de malice, répandus dans l’air, esprits orgueilleux et trompeurs, ils ont bien pu par la bouche de leurs prêtres répéter sur la société sainte des élus et sur le vrai Médiateur plusieurs des choses qu’ils en avaient entendu dire aux anges, ou aux prophètes. Leur but en cela était d’entraîner dans l’erreur, s’ils le pouvaient, les serviteurs de Dieu, en les séduisant par l’énonciation de quelques vérités. Mais le Seigneur, même à leur insu, a réalisé parmi eux un tout autre dessein, et il a fait ainsi publier en tous lieux la vérité, afin de fortifier les adorateurs et de confondre les impies.

CHAPITRE XVIII. BUT DE L’INCARNATION.

24. Ainsi l’homme est incapable de s’élever par lui-même jusqu’aux choses éternelles. Car son esprit est courbé sous le poids du péché, et enchaîné par l’amour des biens de la terre, de même que son corps est assujetti à la mort par suite de la souillure originelle. Il a donc besoin d’être purifié. Or cette purification, qui doit nous mettre en communication avec les choses éternelles, ne peut s’effectuer qu’au moyen des mêmes affections terrestres qui captivent nos sens et obscurcissent notre intelligence. Et en effet, la santé est tout l’opposé de la maladie ; néanmoins nul ne peut amener la guérison, s’il ne se met en rapport avec la maladie elle-même. C’est ainsi que les mêmes préoccupations du temps et de la terre qui amusent l’homme faible et malade, quand elles sont inutiles, le disposent à un meilleur état, quand elles sont utiles, et le conduisent enfin aux pensées éternelles, quand il est entièrement guéri. Or, si notre âme, une fois purifiée, doit s’adonner à la méditation des vérités éternelles, elle ne peut cependant obtenir cette purification que par des moyens temporels. Aussi un des sages de la Grèce a-t-il dit « que la vérité est à la foi ce que l’éternité est à la création ». Et cette sentence est bien vraie, puisque ce philosophe entend par création tout ce qui est soumis à l’action du temps. Mais n’est-ce point là le véritable état de l’homme ? et n’est-il point sujet au changement en son âme comme en son corps ? on ne saurait en effet nommer éternel rien de ce qui est tant soit peu mobile et changeant. C’est pourquoi moins l’homme est fixe et stable, moins il est éternel. Toutefois on nous promet de nous conduire par la vérité à la vie éternelle ; mais notre foi s’éloigne autant de cette vérité que notre mortalité est distante de l’éternité. Il faut donc que l’homme embrasse fermement la croyance des mystères qui pour lui ont été opérés dans le temps, afin que par cette croyance il soit purifié de la tache du péché. Et puis, lorsqu’il sera parvenu à la vision intuitive, la vérité succédera à la foi, et l’éternité à la mortalité. Ainsi- notre foi deviendra vérité pleine et entière, quand nous posséderons cette vision parfaite qui nous est- promise ; et de même on nous promet une vie éternelle. Car la Vérité, non la vérité qui grandira la foi, mais la Vérité qui est souveraine et infaillible, parce qu’elle est éternelle, la Vérité a dit : « La vie éternelle est de vous connaître, vous le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé (Jean, XVII, 3 ) ». Ainsi lorsque notre foi deviendra vérité par la vision béatifique, notre corps mortel sera transformé et rendu immortel. Mais en attendant ces merveilleuses opérations de la grâce, et même pour les réaliser, nous devons donner l’assentiment de notre foi aux mystères qui se sont accomplis dans le temps, de même