Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/424

Cette page n’a pas encore été corrigée

jusqu’à la connaissance de l’Etre suprême et immuable ( Rom., I, 20 ) ; mais est-ce une raison pour que nous les consultions exclusivement sur les modifications diverses que peuvent subir des créatures mobiles et changeantes, et sur l’ordre et la durée des siècles ? Sans doute encore ils raisonnent logiquement, et prouvent évidemment que le monde est l’ouvrage d’un être éternel. Mais peuvent-ils par les seules lumières de la raison découvrir et expliquer tous les mystères de la nature : la création première des animaux et leurs espèces si nombreuses ; la conservation des genres et la multiplication des individus ; les divers phénomènes de leur reproduction, de leur vie et de leur mort, et la sûreté de leurs instincts, en sorte que chacun cherche ce qui lui est utile, et repousse ce qui lui serait nuisible ? Cependant, sans tenir aucun compte de la sagesse immuable d’un Dieu créateur, ils tâchent de tout expliquer par l’influence des climats, et la durée des siècles, et ils donnent une entière adhésion à tout ce que d’autres ont avant eux observé et écrit. Il n’est donc pas étonnant que leur regard n’ait pu percer la nuit et la révolution des temps, ni se fixer sur ce laps de siècles qui semblable à un fleuve rapide entraîne le genre humain, et porte chaque individu vers sa fin particulière. Car ici l’histoire nous fait complètement défaut, puisque nul ne saurait connaître, ni révéler les secrets de l’avenir. Les sages du paganisme, quoique bien supérieurs au vulgaire, n’ont pu eux-mêmes pénétrer ces secrets par l’effort de leur génie, ni les lire dans leurs sublimes conceptions de l’être suprême et éternel. Autrement, loin de s’attacher, comme les historiens, aux faits passés, ils ne se fussent occupés que de l’avenir. C’est ce qu’ont fait ceux que les païens nomment devins, et que les chrétiens appellent prophètes.

CHAPITRE XVII. LES PHILOSOPHES ET LA RÉSURRECTION.

22. Néanmoins il faut avouer que le nom de prophètes n’était pas entièrement inconnu aux païens. Mais quand il s’agit de prophéties, il est important d’établir plusieurs distinctions. Et d’abord on peut conjecturer l’avenir par la connaissance du passé. Ainsi l’expérience aide beaucoup les médecins dans leurs prévisions, et plusieurs en ont consigné par écrit les résultats heureux. Ainsi encore le laboureur et le matelot énoncent diverses prédictions, qui même, en raison du long intervalle qui les voit se réaliser, passent pour de véritables prophéties. En second lieu, les esprits répandus dans l’air, pressentent pour ainsi dire les événements qui doivent prochainement s’accomplir ; et la subtilité de leur intelligence leur permet de les découvrir de loin, en sorte qu’ils semblent les prédire. C’est à peu près comme si du sommet d’une montagne, apercevant un voyageur, je l’annonçais aux personnes qui stationneraient dans la plaine. Mais ici tantôt c’est aux saints anges que le Seigneur révèle ces évènements par son Verbe, ou sa Sagesse, en qui réside le passé et l’avenir ; et alors ils les découvrent eux-mêmes aux hommes, ou bien ils n’en instruisent qu’un petit nombre, qui à leur tour en répandent et en divulguent la connaissance. Tantôt au contraire l’intelligence de l’homme, sans l’intermédiaire des anges, est élevée par l’Esprit-Saint à un tel ravissement, qu’elle contemple la cause et l’origine des futurs contingents dans la source et le principe de toutes choses. Quant aux esprits de malice, qui sont répandus dans l’air, ils ne connaissent ces divers événements que par la prédiction qu’en font les anges et les hommes, et ils ne les connaissent même qu’autant que le permet Celui qui est le souverain Seigneur de tous les êtres. Enfin il peut arriver qu’un homme prophétise même à son insu, et par une inspiration secrète du Saint-Esprit. Ainsi Caïphe prophétisa, ne parlant point de lui-même, mais parce qu’il était grand-prêtre (Jean, XI, 51 ). 23. Nous ne saurions donc touchant la suite des siècles et la résurrection des morts, nous en rapporter exclusivement même à ceux des philosophes païens qui, autant qu’ils l’ont pu, ont reconnu le Dieu éternel et créateur en qui nous avons le mouvement et la vie (Act., XVII, 28 ). Car ayant connu Dieu par tout ce qui a été fait, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces. Mais en se disant sages, ils sont devenus fous (Rom., I, 21, 22 ). C’est pourquoi ces philosophes n’ont jamais pu contempler l’être spirituel, immuable et éternel, d’un regard qui pénétrât jusque dans le sanctuaire secret de la sagesse et de la providence où sont contenus les divers événements que doit amener la suite des siècles. Là par rapport à Dieu, ces