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effet, le démon qui se pose ici en faux médiateur, ne saurait élever l’homme vers ses hautes destinées, et il ne cherche même qu’à l’arrêter dans le noble essor qui l’y fait aspirer. C’est pourquoi il corrompt ses affections, et il les rend d’autant plus perverses qu’il le remplit lui-même de plus d’orgueil et de vanité. Mais alors ces affections ainsi corrompues, loin de favoriser en nous les sublimes élans de la vertu, nous entraînent vers l’abîme, par-ce qu’elles doublent le poids de nos vices. Ainsi la gravité de notre chute est en rapport avec la hauteur d’où nous sommes précipités. La prudence nous conseille donc d’imiter les mages qu’une étoile conduisit au berceau de l’Enfant-Dieu, et que les anges instruisirent par un songe mystérieux. A leur exemple nous ne devons point revenir en notre patrie par la même route que nous en sommes sortis, mais suivre cet autre chemin que nous a tracé Jésus, ce Roi doux et humble, et sur lequel Satan, son superbe ennemi, ne peut que nous tendre d’inutiles embûches. D’ailleurs les cieux eux-mêmes nous invitent à adorer le Dieu humble et caché dont ils racontent la gloire, et dont ils proclament la grandeur dans l’univers entier et jusqu’aux extrémités de la terre (Ps., XVIII, 2, 5 ). Quant à la mort, elle a été introduite dans le monde par le péché d’Adam, selon cette parole de l’Apôtre : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché. Ainsi la mort a passé à tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché (Rom., V, 12 ) ». Or celui qui nous a ouvert cette triste voie, c’est le démon qui, en nous persuadant de commettre le péché, nous a précipités dans la mort. Mais cette mort qui est double dans l’homme correspond en Satan à la perte unique de la grâce. Et en effet, il était mort selon l’esprit par suite de sa révolte, et non point selon la chair, tandis qu’en nous entraînant dans son impiété, il nous a soumis à la mort de l’âme et à celle du corps. Il semblait à l’homme qu’il ne s’exposait qu’à la première en se laissant criminellement séduire, et voilà qu’il s’est attiré la seconde par une juste condamnation. Aussi l’Ecriture nous dit-elle que « Dieu n’a point fait la mort », parce qu’il n’en est ni l’auteur, ni le principe. Toutefois il a pu infliger la mort au pécheur comme un châtiment juste et bien mérité. C’est ainsi que le juge envoie un criminel au supplice, et que la cause de ce supplice n’est point l’équité du juge, mais la faute du coupable. Le démon nous a donc soumis à la mort du corps, sans y participer lui-même ; mais par une secrète disposition, et une profonde justice du Seigneur, cette même mort que Jésus-Christ quoique innocent a bien voulu subir, nous est devenue un remède de vie et d’immortalité. Et en effet, « comme c’est par un homme que la mort est venue, c’est aussi par un homme que vient la résurrection (I Cor., XV, 21 ) ». Mais les hommes s’attachent bien plus à éloigner la mort du corps que celle de l’âme, quoique la première soit inévitable, et ils montrent ainsi qu’ils sont plus sensibles au châtiment du péché, qu’à la malice même du péché. Eh ! ne les voyons-nous pas chaque jour s’appliquer bien peu, et même nullement à éviter le péché, au lieu qu’ils s’épuisent pour prévenir une mort qu’ils ne peuvent éviter ? C’est pourquoi Jésus-Christ, le vrai médiateur de la vie, a voulu nous prouver qu’il ne faut point craindre la mort du corps qui est une condition de notre nature, mais bien plutôt le péché qui donne la mort à notre âme, et que nous pouvons ne point commettre avec le secours de la foi. Il a donc atteint lui-même la fin commune à tous les hommes, quoique par une voie bien différente. Car nous sommes venus à la mort par le péché, et lui par la justice et l’innocence. Aussi, de même qu’en nous la mort est la peine du péché, elle a été en Jésus-Christ l’expiation du péché.

CHAPITRE XIII. MORT VOLONTAIRE DE JÉSUS-CHRIST.

16. L’âme qui est préposée au corps de l’homme, meurt à la grâce, quand elle se sépare de Dieu, et le corps lui-même meurt, quand l’âme l’abandonne. Mais parce que cette dernière mort est un châtiment, il est juste que l’âme qui s’est volontairement éloignée de Dieu, quitte même involontairement le corps auquel elle est unie. Ainsi la mort que nous subissons malgré nous, est la peine du péché que nous avons librement commis. Car pour que l’âme quitte volontairement le corps, il faut qu’elle-même lui fasse violence et lui donne un coup mortel. Or, Jésus-Christ notre divin médiateur a voulu subir librement la