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CHAPITRE VIII.

A DIEU SEUL LE POUVOIR DE CRÉER.

13. Ce serait néanmoins une grave erreur que de penser que les anges rebelles peuvent commander en maître aux créatures matérielles et sensibles. En réalité, ces créatures n’obéissent qu’à Dieu, puisque lui seul permet aux démons de s’en servir selon les arrêts de sa souveraine justice et de son immuable équité. C’est ainsi que par l’emploi de l’argent les impies et les réprouvés semblent user à leur gré de l’eau, du feu et de la terre. Et toutefois ils n’en usent que dans les limites que Dieu leur a tracées. On ne saurait donc attribuer aux mauvais anges un pouvoir vraiment créateur, parce qu’ils firent que les magiciens de Pharaon résistèrent au serviteur du vrai Dieu, et qu’ils produisirent également des serpents et des grenouilles : car ils ne les créèrent point. Et, en effet, les germes de tous les corps qui existent reposent paisibles et inaperçus dans les divers éléments de l’univers. Notre œil, il est vrai, peut en découvrir quelques-uns dans la fructification des plantes et la reproduction des animaux. Mais tous les autres nous sont entièrement inconnus et se rapportent à l’acte premier de la création. Aussi est-il dit dans la Genèse que Dieu ordonna d’abord aux eaux de produire les poissons qui nagent, et les oiseaux qui volent, et puis à la terre d’enfanter les animaux, chacun selon son espèce, de même qu’elle avait précédemment produit les plantes, chacune selon son genre ( Gen., I, 20-25). Au reste, cette puissance de fécondité, qui fut alors communiquée à l’eau et à la terre, ne s’épuisa point en ces productions premières. Elles la conservent toujours ; seulement le milieu propre à favoriser en elles de nouvelles générations, leur fait souvent défaut. Un sarment, par exemple, produit un cep de vigne, lorsqu’il est planté dans un terrain convenable. Mais ce sarment lui-même provient d’un pépin qui contient en germe un cep nouveau. Jusque-là, nous pouvons saisir le phénomène de la reproduction ; mais vouions-nous ensuite analyser ce pépin, nous serons forcés d’y reconnaître une fécondité réelle, quoique si bien cachée qu’elle échappe à toutes nos observations. Et, en effet, sans cette fécondité inhérente et absolue, comment la terre produirait-elle mille plantes dont les graines n’ont point été semées ? Comment encore la terre et l’eau enfanteraient-elles en dehors de tout accouplement des sexes tant d’animaux, dont la génération spontanée est contraire à toutes les lois connues, et qui néanmoins naissent, croissent et se multiplient ? On peut citer en preuve la fécondation des abeilles qui recueillent sur les fleurs la poussière séminale. Or, celui qui a créé cette poussière est le Dieu qui a créé tout ce qui existe ; et tous les êtres qui naissent sous nos yeux, reçoivent de cette fécondité première que possèdent les éléments, le germe et le développement de leur existence. Aussi les progrès de leur accroissement, et la variété de leurs formes sont-ils subordonnés aux règles de leur primitive génération. C’est pourquoi nous ne disons point que le père et la mère soient les créateurs de leurs enfants, ni que les laboureurs soient les créateurs de leurs moissons, quoique au dehors Dieu emploie leur intermédiaire pour opérer en secret par sa propre puissance la naissance de l’enfant et la production des moissons. Et. de même, nous ne pouvons considérer comme vraiment créateurs, ni les bons anges, ni les mauvais, lorsque, connaissant en raison de la subtilité de leur intelligence et de leur corps, les germes cachés des êtres, ils les disséminent secrètement dans les milieux qui leur conviennent, et eu favorisent ainsi le rapide développement. Mais ici encore les bons anges ne font le bien que selon les ordres du Seigneur, et les mauvais n’opèrent le mal que selon la juste permission qu’il leur en donne. Car si le démon a par lui-même la volonté de faire le mal, Dieu ne lui accorde que pour des raisons justes et équitables le pouvoir de le faire, Or, ces raisons sont de la part du Seigneur, tantôt de châtier le démon ou le pécheur, et tantôt de punir l’impie et de glorifier le juste. 14. C’est pourquoi l’Apôtre saint Paul séparant l’action intérieure et secrète de Dieu de l’action extérieure et visible de la créature, dit par analogie avec les travaux de l’agriculture : « J’ai planté, Apollo a arrosé, mais e Dieu a donné l’accroissement ( I Cor., III, 6 ) ». Ainsi encore dans l’homme, Dieu seul peut justifier l’âme, tandis que la prédication extérieure de l’Evangile peut être le fait d’un vrai zèle, ou même par occasion d’une jalouse rivalité. Et