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grossiers et les adopter comme un vêtement extérieur. Dans cette hypothèse la forme qu’ils revêtiraient n’en serait pas moins vraie et réelle, de même qu’aux noces de Cana l’eau fut véritablement changée en vin. On peut aussi supposer qu’ils transforment eux-mêmes leur corps, et le changent à leur gré selon l’exigence de leur ministère. Au reste, quel que soit leur mode d’agir, cela ne fait rien à la question présente. Toutefois, parce que je ne suis qu’un simple mortel, je ne saurais pénétrer ces secrets dont les anges seuls ont l’intelligence. C’est ainsi encore qu’ils comprennent bien mieux que moi, comment l’affection de la volonté peut amener pour le corps les divers changements que j’ai observés en moi et dans les autres. Mais il est inutile de rechercher ici ce que I’Ecriture nous permet de croire sur ce sujet, car je m’embarrasserais dans une suite de discussions et de preuves qui m’écarteraient de mon but. 6. Je me bornerai donc à examiner si les anges faisaient réellement mouvoir ces formes corporelles qui apparaissaient aux yeux, et s’ils articulaient les paroles qui étaient entendues. Dans cette hypothèse, la créature obéissant aux ordres du Créateur se serait prêtée aux diverses modifications que nécessitaient le temps et les circonstances, selon ce passage du livre de la Sagesse : « Seigneur, la créature qui vous obéit comme à son Créateur, s’irrite pour tourmenter les méchants, et s’apaise pour le bien de ceux qui se confient en vous. « Aussi la manne, prenant toutes les formes, obéissait-elle à votre grâce qui est la nourriture de tous, l’accommodant aux besoins de ceux qui vous témoignaient leur indigence ( Sag., XVI, 21, 25 ) ». Nous voyons par cet exemple comment la puissance de la volonté divine emploie une créature spirituelle, pour produire les effets visibles et sensibles des créatures corporelles. Et en effet quels obstacles arrêteraient l’action de la sagesse divine, puisqu’elle atteint avec force d’une extrémité à l’autre, et qu’elle dispose toutes choses avec douceur (Sag., VIII, 1 ).


CHAPITRE II.

TOUTE TRANSFORMATION CORPORELLE A POUR PREMIER PRINCIPE LA VOLONTÉ DE DIEU. EXEMPLE.


7. Au reste nous trouvons d’abord dans le changement et le mouvement des corps un certain ordre naturel que nous rapportons sans doute à la volonté de Dieu, mais que nous cessons d’admirer parce que lui-même ne cesse de le reproduire. Je range en cette catégorie les divers phénomènes qui se succèdent rapidement, ou du moins à de courts intervalles, au ciel, sur la terre et sur la mer. Tels sont la naissance et la mort des plantes et des animaux, et l’aspect si varié et si mobile des astres et de l’océan. Mais il est d’autres phénomènes qui sont soumis au même principe d’ordre, et qui néanmoins ne se produisent qu’assez rarement. Le vulgaire s’en étonne, mais les savants les expliquent, et leur successive répétition fait qu’on les admire d’autant moins qu’on les connaît mieux. Tels sont les éclipses, l’apparition des comètes, les tremblements de terre, la naissance des monstres et autres accidents semblables, qui tous arrivent par la seule volonté de Dieu, mais dans lesquels le commun des hommes n’aperçoit pas cette volonté. C’est pourquoi d’orgueilleux philosophes ont bien pu les rapporter à d’autres cames. Quant à leurs théories, quelquefois elles sont vraies, parce que, même à leur insu, elles se rapprochent de cette cause première et souveraine qu’ils ne découvraient pas, et qui n’est autre que la volonté de Dieu, et quelquefois aussi elles sont fausses, parce qu’elles reposent bien plus sur leurs préjugés personnels et leurs erreurs, que sur une étude approfondie des corps et du mouvement. 8. J’explique ma pensée par un exemple. Le corps de l’homme nous présente d’abord une certaine masse de chair, et une certaine forme de beauté ; puis il nous offre des membres distincts et coordonnés entre eux, et différentes humeurs dont le juste équilibre constitue l’état desanté. Mais ce corps est régi par une âme qui lui a été adjointe, et qui est douée de raison. En outre cette âme, quoique soumise au changement, peut entrer en participation de la sagesse immuable et divine. C’est de cette sagesse que le psalmiste a dit, « que toutes ses parties sont dans une parfaite union entre elles » ; parce que les saints, comme autant de pierres vivantes, entrent dans la construction de cette Jérusalem céleste qui est notre mère immortelle. Aussi le psalmiste s’écrie-t-il : « O Jérusalem ! toi qui es bâtie comme une ville dont toutes les parties sont dans une parfaite union entre elles ( Ps., CXXI, 3 ) ».