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Dieu le Père qui donne le royaume, et si Dieu le Fils qui le reçoit, se sont montrés à Daniel sous une forme corporelle, il n’est plus permis d’affirmer que le Père n’a jamais apparu aux prophètes, et que c’est de lui seul, comme de l’unique invisible que l’Apôtre a dit « qu’aucun homme ne l’a vu, ni ne peut le voir ». Au reste, voici le récit de Daniel lui-même. « Je regardais, dit-il, jusqu’à ce que les trônes fussent placés, et l’Ancien des jours s’assit son vêtement était blanc commue la neige, ses cheveux, comme une laine brillante, son trône, comme une flamme ardente, et les roues de ce trône, comme un feu brûlant. Et un fleuve de feu sortait rapidement de sa face. Mille millions d’anges le servaient, et dix mille millions se tenaient devant lui. Le jugement commença et les livres furent ouverts. Je regardais donc », ajoute le prophète, « en la vision de la nuit, et voici comme le Fils de l’homme qui venait sur les nuées du ciel, et il s’avança jusqu’à l’Ancien des jours, et on l’offrit en sa présence. Et il lui donna la puissance et l’honneur et le royaume : et tous les peuples de toute tribu et de toute langue le serviront. Sa puissance est une puissance éternelle, qui ne sera point transférée ; et son règne ne sera point affaibli ( Dan., VII, 9-14 ) ». Certes, voilà bien le Père qui donne au Fils un royaume éternel, et le Fils qui le reçoit ; et tous deux se montrent visiblement aux regards du prophète. Il nous est donc permis de conjecturer avec raison que Dieu le Père a pu, lui aussi, apparaître aux hommes. 34. Mais peut-être dira-t-on encore que le Père est invisible, parce qu’il se montra au prophète pendant son sommeil, tandis que le Fils et le Saint-Esprit sont visibles, parce que Moïse les vit étant éveillé. Eh ! peut-on croire que Moïse ait vu des yeux du corps l’essence même du Verbe qui est la sagesse de Dieu ? De plus, si nous ne pouvons voir ni l’âme qui anime le corps de l’homme,.ni ce souffle sensible et corporel qu’on appelle vent, combien moins encore cet esprit de Dieu, qui par l’ineffable prérogative de sa nature divine surpasse l’intelligence des anges et des hommes ! Car je ne saurais supposer que mues adversaires s’égarent jusqu’à dire, qu’à la vérité le Fils et l’Esprit-Saint se montrent aux hommes dans

l’état de veille, mais que Dieu le Père ne peut leur apparaître que durant le sommeil. Comment donc entendent-ils du Père seul cette parole de l’Apôtre : « Aucun homme ne l’a vu, ni ne peut le voir ? » Est-ce que l’homme cesse d’être homme parce qu’il est endormi ? Ou bien le même Dieu qui peut se montrer pendant le sommeil tians les fantômes d’un rêve, ne pourrait-il donner à ces fantômes un corps et une réalité pour nous apparaître dans l’état de veille ? Au reste l’essence divine, qui est la nature même de Dieu, ne saurait être aperçue ni dans le sommeil sous une image quelconque, ni dans l’état de veille sous une forme corporelle et sensible. Or, cela est vrai non-seulement du Père, mais encore du Fils et du Saint-Esprit. Et maintenant je m’adresse à ceux qui soutiennent que dans l’état dé veille, le Fils seul, ou l’Esprit-Saint, et non le Père, se sont montrés aux hommes sous une forme corporelle. Je pourrais sans doute leur demander comment, en présence des textes si larges et si explicites de nos saintes Ecritures, et en face des interprétations si multipliées qu’on en donne, ils osent raisonnablement affirmer que jamais dans l’état de veille aucun homme n’a vu le Père. Mais je laisse cette objection pour ne leur citer que l’exemple d’Abraham, notre père. Certes il était bien éveillé, et il vaquait à ses travaux, lorsque l’Ecriture dit « que le Seigneur lui apparut ». Or, dans cette apparition il ne vit pas un ou deux anges, mais trois ; et de ces trois nul n’affecta sur les deux autres quelque prérogative de dignité, ni ne réclama quelque distinction d’honneur ou quelque supériorité dans le commandement. 35. Je m’étais proposé de rechercher dans ce livre trois choses. La première, si le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont apparu simultanément, et sous une forme corporelle aux patriarches et aux prophètes : la seconde, si dans ces diverses apparitions c’est une seule des trois personnes qui se soit montrée à l’exclusion des deux autres ; et la troisième, si dans quelques-unes de ces manifestations nous ne devons pas abandonner la distinction des personnes, et n’y voir que le Dieu unique, c’est-à-dire la Trinité tout entière. Pour réussir dans cette triple recherche, j’ai étudié les divers passages de l’Ecriture qui se rapportaient à mon sujet, et cette étude m’a convaincu, autant