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Matthieu rapporte les paroles : « Le cœur de ce peuple, dit-il, s’est aveuglé ; ses oreilles sont appesanties, et ses yeux sont fermés » On peut aussi, et non sans vraisemblance appliquer à ce même peuple cet autre passage des psaumes : « Votre main s’est appesantie sur moi jour et nuit ( Jean, VI ; 10 ) ». Le Jour ne signifierait-il pas ici les miracles que Jésus-Christ faisait au public, et que les Juifs ne voulurent point reconnaître ? Et la nuit ne marquerait-elle point la passion du Sauveur, quand ces mêmes Juifs le crurent véritablement mort comme un simple homme ? Mais, lorsqu’il fut entré en sa gloire, ils le virent par derrière. Car l’apôtre saint Pierre leur ayant annoncé qu’il fallait que le Christ souffrît et qu’il ressuscitât, ils furent touchés de repentir et de componction. Ils demandèrent donc le baptême, et en le recevant ils virent se réaliser pour eux cette parole du même psaume : « Heureux ceux auxquels leurs iniquités ont été pardonnées et dont les péchés ont été couverts ». Aussi ce même peuple, qui a dit en la personne du psalmiste « Seigneur, votre main s’est appesantie sur moi jour et nuit », s’empresse-t-il, dès que le Seigneur a retiré sa main, et qu’il l’a vu par derrière, de faire entendre un cri de douleur et de repentir. Bien plus, il réclame le pardon de ses péchés au nom et par les mérites de sa foi en la résurrection de Jésus-Christ. « Je me suis tourné vers vous, dit-il, dans mon affliction, et sous la pression de l’épine. Je vous ai déclaré mon crime, et je ne vous ai point caché, mon iniquité. J’ai dit : je confesserai contre moi mes prévarications au Seigneur, et vous m’avez remis l’impiété de mon cœur ( Ps., XXXI, 4 ) ». Cependant nous ne devons pas nous enfoncer si profondément dans les ténèbres de la chair, que nous pensions que le même Dieu qui nous cache sa face, se laisse voir par derrière. Car nous l’avons vu de ces deux manières, lorsqu’il s’est montré à nous sous la forme d’esclave ; et quant au Verbe divin qui est la sagesse de Dieu, ce serait un blasphème de dire que, comme l’homme, il se présente tantôt de face, et tantôt par derrière, ou d’affirmer qu’il change d’aspect et qu’il est soumis aux diverses influences du mouvement, du lieu et du temps. 32. C’est pourquoi il vous est sans doute permis de dire que Notre-Seigneur Jésus-Christ se montrait dans les différents prodiges qui sont racontés au livre de l’Exode ; vous pouvez même soutenir, comme tout semble l’indiquer, que le Fils de Dieu parut seul, ou-présumer que ce fut le Saint-Esprit, ainsi que je l’ai insinué ; mais il serait téméraire d’en conclure que jamais Dieu le Père ne s’est montré aux patriarches sous une forme sensible et matérielle. Et en effet, dans un grand nombre d’apparitions, l’on ne saurait spécifier à laquelle des trois personnes divines, le Père, ou le Fils, ou l’Esprit-Saint, elles se rapportent. Néanmoins il existe à cet égard de telles probabilités, qu’il serait par trop téméraire d’affirmer que jamais Dieu le Père ne s’est montré aux patriarches ou aux prophètes sous une figure sensible. Cette opinion n’a été émise que par ceux qui n’ont pu comprendre, qu’on doit appliquer aux trois personnes en unité de nature ces paroles de l’Apôtre : « Au roi des siècles, au Dieu qui est l’immortel, l’invisible, l’unique, honneur et gloire ». Et encore : « Aucun homme ne l’a vu, ni ne peut le voir ( I Tim., I, 17, VI, 16 ) ». Et en effet, la foi orthodoxe entend ce passage de la substance divine, qui est souverainement une et immuable, et en laquelle le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu’un seul et même Dieu. C’est pourquoi lorsque le Dieu invisible et immuable de sa nature a daigné employer la créature pour apparaître sous des formes visibles et matérielles, il ne s’est point montré tel qu’il est ; ces formes ont seulement révélé sa présence selon l’opportunité des choses et des circonstances.


CHAPITRE XVIII.

VISION DE DANIEL.

33. Mais en vérité je ne sais comment mes. adversaires expliquent la vision où l’Ancien des jours apparut à Daniel. Car c’est de lui que le Verbe divin, qui par amour pour nous a daigné se faire fils de l’homme, a reçu le sceptre et la puissance, selon cette parole qu’il lui adresse au psaume deuxième : « Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd’hui. Demandez-moi et je vous donnerai les nations pour héritage ( Ps., II, 7, 8 ) ». Aussi le psalmiste dit-il dans un autre endroit, que « le Père a soumis toutes choses au Fils ( Ps., VIII, 8 ) ». Or, si