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enfants même des concubines », c’est-à-dire des juifs charnels, des hérétiques et des schismatiques. Car si d’un côté nous voyons que Dieu dit à Abraham : « Chasse l’esclave avec son fils, parce que le fils de l’esclave ne sera point héritier avec mon fils Isaac  » ; et, ailleurs : « Ce sera Isaac qui sera appelé ton fils  », c’est-à-dire : « que ceux qui sont sortis d’Abraham selon la chair, ne sont pas pour cela enfants de Dieu, mais que les enfants de la promesse sont réputés être la race d’Abraham  », comme l’Apôtre l’explique pour nous faire entendre que « ce sont les enfants issus d’Abraham en la ressemblance d’Isaac qui sont enfants de Dieu par Jésus-Christ », et qui sont ses membres et composent son corps, c’est-à-dire l’Église catholique, laquelle est seule la véritable Église en qui se trouve la foi qui fait les saints, et qui agit non par la crainte, ni par l’orgueil, mais par l’amour ; si, dis-je, nous voyons par là les enfants des concubines exclus de l’héritage, nous voyons aussi que lorsqu’Abraham les sépara d’avec son fils Isaac, « il leur fit quelques gratifications », non qu’il les reconnût pour ses héritiers, mais afin de ne les pas laisser absolument dépourvus de tout. « Abraham », dit l’Ecriture, « donna tous ses biens à son fils Isaac, et séparant de lui les enfants des concubines, il leur fit aussi quelques gratifications ».

Si donc nous sommes enfants de la femme libre, de Jérusalem, comprenons qu’autres sont les biens des héritiers, autres les gratifications faites à ceux qui n’ont point de part à l’héritage. Or, les héritiers sont ceux à qui il est dit : « L’esprit que vous avez reçu n’est point un esprit de servitude pour vous faire vivre encore dans la crainte ; mais vous avez reçu l’Esprit d’adoption des enfants, qui nous fait crier : mon Père, mon Père  ».

CHAPITRE XXIX. ÉTERNELLE RÉCOMPENSE DE LA PATIENCE VÉRITABLE.

26. Que l’esprit de charité nous fasse donc crier de la sorte ; et dans l’attente où nous sommes de l’héritage éternel, soyons animés d’un amour libre, et non d’une crainte servile ; « crions », mais dans un esprit de patience, pendant que nous sommes pauvres ici-bas, jusques à ce que nous soyons enrichis dés biens de cet héritage céleste. Nous en avons déjà des gages et des assurances bien grandes, puisque « Jésus-Christ s’est fait pauvre pour nous enrichir  », et qu’après son exaltation dans le ciel, le Saint-Esprit nous a été envoyé pour former de saints désirs dans nos cœurs.

C’est de ces pauvres qui n’ont encore que la foi, et non pas la claire vue, qui espèrent mais qui ne jouissent pas, qui soupirent et qui désirent, bien loin d’être déjà régnants dans la souveraine félicité, qui ont faim et soif de la justice, mais qui n’en sont pas encore pleinement rassasiés ; c’est de ceux-là qu’il est dit : « Leur patience ne périra point  » ; non qu’ils aient encore besoin de patience lorsqu’il n’y aura plus rien à souffrir, mais parce que leur patience n’aura pas été infructueuse, et que pour dire « qu’elle ne périra point 3 », il suffit que la récompensé en soit éternelle. Car, quand on a travaillé en vain, et qu’on se trouve frustré dans son attente, on dit qu’on a perdu sa peine ; et au contraire, lorsqu’on est arrivé à ce qu’on prétendait, on dit qu’on ne l’a pas perdue ; ce qui ne signifie pas qu’elle demeure toujours, mais qu’elle n’a pas été inutile.

C’est ainsi que « la patience des pauvres  » de Jésus-Christ, qui doivent un jour être enrichis de l’héritage du même Jésus-Christ, « ne périra point  » ; non que nous ayons rien à souffrir dans la béatitude éternelle ; mais parce que nous y jouirons à jamais de la récompense dé ce que nous aurons souffert ici-bas avec patience. Car celui qui donne à la volonté, la patience dont nous avons besoin dans le temps, ne mettra point de fin à la félicité que nous posséderons dans l’éternité ; couronnant par l’un et l’autre de ces dons, celui qu’il nous a fait de la charité.