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quand elle dit : « Vous les sauverez pour rien ». C’est donc la grâce qui donne tout mérite, bien loin d’être donnée au mérite ; c’est elle qui prévient toutes choses en nous, jusqu’à la foi même qui est le principe et le commencement de toute bonne œuvre, puisque, comme il est écrit, « le juste vit de la foi  ».

Non-seulement donc la grâce aide et soutient le juste, mais c’est elle qui l’a fait juste, d’impie qu’il était. Ainsi, lors même qu’elle l’aide, et qu’il semble qu’elle soit la récompense de son mérite, elle ne cesse pas pour cela d’être grâce, car ce qu’elle aide en lui n’y est que par elle.

Cette grâce qui prévient tout mérite dans les hommes, est l’effet et. le prix de la mort que Jésus-Christ a bien voulu souffrir non-seulement par la main des impies, mais même « pour des impies  ». Or, quand Jésus-Christ a choisi ses Apôtres, c’a été pour les rendre justes, et non pas pour les avoir trouvés justes ; car, après leur avoir dit qu’ils n’étaient pas du monde, il ajouta incontinent, de peur qu’ils ne s’imaginassent qu’ils n’en avaient jamais été, que « c’est, lui qui les a choisis et séparés du monde  ». C’est donc ce choix qui a fait qu’ils n’ont pas été du monde.

D’ailleurs, si ce choix n’avait pas été fait par pure grâce, mais en considération de quelque justice qui eût été en eux, il ne serait pas vrai de dire qu’ils ont été « choisis et séparés du monde » ; car dès avant ce choix même ils n’eussent pas été du monde, puisqu’ils eussent été justes. De plus, s’ils ont été choisis parce qu’ils étaient justes, ils avaient donc déjà choisi Dieu les premiers, car on n’est juste qu’en choisissant la justice ; or, l’Ecriture nous apprend que « Jésus-Christ est la fin de la loi pour être la justice de tous ceux qui croient ; car il nous a été donné de Dieu pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption ; afin que, comme il est écrit, quiconque se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur  » ; c’est donc lui qui est notre justice.

CHAPITRE XXI. LA GRÂCE A FAIT LES ANCIENS JUSTES.

18. Aussi les saints qui ont vécu avant l’incarnation du Verbe n’ont-ils été justifiés comme nous, que par la foi en Jésus-Christ et par cette véritable justice que ce même Jésus-Christ est à tous les justes. Ils ont cru les choses avant leur accomplissement, comme nous les croyons, présentement qu’elles sont accomplies ; et ils sont sauvés « par grâce, par le « moyen de la foi, non par eux-mêmes, mais » par un don de Dieu qui « ne venait point de leurs bonnes œuvres, afin qu’ils n’eussent pas sujet de se glorifier  » comme si leurs bonnes œuvres avaient prévenu la miséricorde de Dieu au lieu qu’elles en étaient des suites et des effets aussi bien que les nôtres.

Car non-seulement ils avaient appris, mais ce sont eux-mêmes qui nous ont laissé par écrit, longtemps avant que Jésus-Christ vînt au monde, que « Dieu aura pitié de qui il lui plaira d’avoir pitié, et qu’il fera miséricorde à qui il lui plaira de la faire  » ; d’où saint Paul a conclu longtemps après que « tout dépend donc, non de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde  ». Ce sont eux encore qui ont dit, longtemps avant la venue de Jésus-Christ : « Mon Dieu, votre miséricorde me préviendra ».

Or, comment n’auraient-ils pas été participants de la foi de Jésus-Christ, eux qui nous ont prophétisé Jésus-Christ, dans la foi duquel personne n’est, ni ne sera, ni n’a jamais été juste ? Si donc les Apôtres étaient déjà justes quand Jésus-Christ les a choisis, il faudrait qu’ils l’eussent choisi les premiers, afin qu’étant justes par ce choix, sans lequel il n’y a point de justice, ils puissent mériter d’être choisis par lui. Mais il n’en a pas été ainsi, puisqu’il leur a dit lui-même : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis  » ; et c’est ce qui a fait dire à l’apôtre saint Jean : « Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu les premiers, mais c’est lui qui le premier nous a aimés  ».

CHAPITRE XXII. SANS LA GRACE POINT DE JUSTE.

19. Cela étant ainsi, un homme qui a l’usage de sa raison et de sa volonté, qu’est-il autre chose avant que d’aimer Dieu, et de l’avoir pris pour son partage, qu’un pécheur et un impie ? Que deviendra cette misérable créature qui a quitté son Créateur, si ce Dieu de bonté