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biens de cette vie, et des plaisirs même criminels ; pourquoi ne pourront-ils pas en souffrir autant pour la justice et pour la vie éternelle par les mêmes forces du libre arbitre ? La nature ne lui en a-t-elle pas donné tout ce qu’il faut pour cela, sans qu’il ait besoin d’un secours d’en haut ? Quoi ! dira-t-on, la volonté des méchants sera capable, sans aucun secours de Dieu, de souffrir, pour l’iniquité, les tourments par lesquels ils se préparent à tenir bon contre ceux que les juges leur peuvent faire endurer ; la volonté des scélérats qui cherchent à prolonger le cours de cette misérable vie, sera assez forte, sans aucune assistance du ciel, pour persister, malgré la rigueur et la longueur des plus cruels tourments, à nier leurs crimes de peur qu’on ne les envoyât à la mort s’ils les avouaient ; et la volonté des justes ne le sera pas assez, si elle n’est assistée d’en haut pour souffrir quelques peines que ce soit par la considération de ce qu’il y a d’aimable dans la justice, ou par l’amour de la vie éternelle ?

CHAPITRE XVII. — RÉPONSE.

14. Mais ceux qui parlent ainsi ne savent pas que comme la dureté avec laquelle les méchants supportent les maux, est proportionnée à la mesure de la cupidité et de l’amour du monde qui est en eux ; de même la force des justes dans les souffrances n’est plus ou moins grande qu’à proportion de leur charité et de leur amour de Dieu. Or, au lieu que la cupidité a la volonté pour principe, se fortifie dans le plaisir et se consomme dans la coutume ; la charité au contraire n’a que Dieu pour principe, étant « répandue dans nos « cœurs », non par nous-mêmes, mais « par le Saint-Esprit qui nous est donné  ». La patience des justes vient donc de Celui-là même qui répand la charité dans leurs cœurs.

Aussi voyons-nous que l’Apôtre faisant l’éloge de la charité, entre les autres biens qu’elle enferme, marque expressément qu’ « elle souffre tout. La charité », dit-il, « est patiente, et courageuse  », et un peu plus bas : « Elle souffre tout  ». De sorte que, plus l’amour de Dieu est fort dans les justes, et l’amour du monde dans les méchants, plus ils souffrent avec fermeté, pour ce qu’ils aiment les uns et les autres, tous les maux qui leur peuvent arriver. Comme donc la véritable patience dans les justes vient de ce qui produit en eux l’amour de Dieu, la fausse patience dans les méchants vient de ce qui produit en eux l’amour du monde.

C’est ce qui a fait dire à l’apôtre saint Jean « N’aimez point le monde ni ce qui est dans le monde : si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est point en lui, car tout ce qui est dans le monde n’est que concupiscence de la chair, ou concupiscence des « yeux, ou orgueil de la vie, ce qui ne vient « pas du Père, mais du monde  ». Ainsi plus cette concupiscence qui ne vient pas du Père, mais du monde, sera forte et ardente dans un homme, plus il sera capable de souffrir avec fermeté, pour ce qu’il désire, toutes les peines et les douleurs qui lui pourront arriver. Cette sorte de patience, comme nous avons déjà dit, n’est donc pas celle qui vient d’en haut ; c’est la patience des saints qui en vient, et qui est un « don du Père des lumières  » : l’une est terrestre, l’autre céleste ; l’une animale, l’autre spirituelle ; l’une diabolique, l’autre divine ; parce que la cupidité qui fait que les méchants se raidissent dans leurs maux, « vient du monde » ; et la charité, qui fait que les saints souffrent les leurs avec force, « vient de Dieu ».

Voilà ce qui fait que pour cette fausse patience la volonté de l’homme suffit sans aucun secours de Dieu, étant d’autant plus capable de souffrir avec cette dureté, qu’elle a plus de cupidité. Mais pour la véritable patience, la volonté de l’homme ne suffit pas, si la grâce ne l’aide et ne l’enflamme ; parce que le Saint-Esprit est son feu, et qu’à moins d’en être embrasée jusqu’à aimer le bien souverain et impassible, elle ne saurait tenir bon dans les maux qui lui arrivent.

CHAPITRE XVIII. LA PATIENCE VIENT DE DIEU.

15. Car, comme nous l’apprenons des saintes Ecritures, « Dieu est charité, et celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu, et Dieu en lui ». Ainsi, soutenir qu’on peut avoir l’amour de Dieu sans le secours de Dieu, c’est proprement soutenir qu’on peut avoir