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n’y a plus moyen de dire : « Il perdra tous ceux qui profèrent le mensonge », mais non toute espèce de mensonge, puisque tous les mensonges sont universellement exclus par ces mots. « Et rien de faux ne sort de sa bouche ». Cependant un autre prétend qu’il en est ici comme pour le texte interprété par saint Paul : « Et moi je vous dis de ne jurer en aucune façon ». Là, en effet, tout serment est exclu, mais seulement de la bouche du cœur ; il ne doit jamais se faire de bon gré, mais par égard pour l’infirmité d’un autre, c’est-à-dire provenir du mal d’un autre, à qui où ne peut faire, accepter sa parole qu’en l’appuyant d’un serment, ou provenir de notre mal propre, en ce que revêtus de l’enveloppe de notre mortalité, nous ne pouvons mettre notre cœur à découvert, sans quoi nous n’aurions pas besoin de serments. Du reste, si dans l’ensemble ces paroles : « L’enfant recevant la parole s’éloignera de la perdition », doivent s’entendre de la Vérité par qui tout a été fait, qui est immuable et éternelle ; comme la doctrine religieuse a pour but de conduire à sa contemplation, on pourrait croire que ces mots. « Et rien de faux ne sort de sa bouche », signifient que rien de faux ne doit se mêler à cette doctrine : genre de mensonge qu’aucune compensation ne saurait autoriser et qu’il faut éviter absolument et avant tout. Que si ces mots : « rien de faux », doivent, à moins d’absurdité, s’entendre de toute espèce de mensonge ; celui qui pense qu’on peut mentir en certain cas, entendra par « sa bouche » la bouche du cœur suivant l’explication donnée plus haut.

38. Au milieu des divergences qui apparaissent dans cette discussion, les uns soutenant qu’il ne faut jamais mentir et appuyant leur opinion sur les témoignages divins ; les autres affirmant le contraire et cherchant dans les paroles mêmes des textes sacrés, une place pour le mensonge : personne du moins ne peut dire qu’il ait trouvé dans les Ecritures un exemple ou un mot qui autorise à aimer ou à ne pas haïr une espèce quelconque de mensonge ; tout au plus verra-t-on qu’on peut quelquefois faire en mentant une action qu’on hait pour en éviter une qu’on doit haïr davantage. Mais les hommes se trompent en subordonnant ce qu’il y a de mieux à ce qu’il y a de pire. En effet si vous accordez qu’on peut quelquefois faire un mal moindre pour en éviter un plus grand ; ce ne sera plus d’après les règles de la vérité, mais d’après ses passions et ses habitudes que chacun mesurera le mal ; et le plus grand pour lui ne sera pas, en réalité celui qui doit lui inspirer le plus d’aversion, mais celui qu’il redoute davantage. Et ce défaut provient de la perversité des affections. Car, comme il existe pour nous deux vies, l’une éternelle que Dieu nous promet, l’autre temporelle où nous sommes maintenant ; dès qu’on donne la préférence à celle-ci sur celle-là, on lui rapporte toutes ses actions, et les péchés qu’on regarde comme les plus graves sont ceux qui font tort à cette existence passagère, qui la privent injustement de quelques-uns de ses avantages ou la détruisent entièrement en lui donnant la mort. Aussi déteste-t-on les voleurs, les brigands, les insolents, les bourreaux, les assassins plus que les impudiques, les ivrognes, les libertins, si ceux-ci n’incommodent personne. On ne comprend pas ou l’on ne veut pas voir l’injure que ces derniers font à Dieu, non certes à son, détriment, mais pour leur grand malheur, quand ils profanent en eux des dons même temporels, et par là se rendent indignes des biens éternels, surtout s’ils sont déjà devenus le temple de Dieu, suivant ces paroles que l’Apôtre adresse à tous les chrétiens : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si donc quelqu’un profane le temple de Dieu, Dieu le perdra. Car le temple de Dieu est saint et vous êtes ce temple ».

39. Au fond tous ces péchés, soit ceux qui privent le prochain de quelques-uns des avantages de cette vie, soit ceux par lesquels les hommes se souillent eux-mêmes sans nuire au prochain malgré lui ; tous ces péchés, même quand ils semblent procurer à cette vie temporelle une jouissance ou un profit, car c’est là le but et la fin qu’on s’y propose, sont cependant des entraves et des obstacles multipliés dans le chemin qui mène à la vie éternelle. Les uns ne gênent que ceux qui les commettent, les autres nuisent à ceux sur qui on les commet. En effet quand le malfaiteur enlève les biens qui appartiennent exclusivement à la vie du temps, il se fait tort à lui-même ; lui seul perd ses droits à la vie éternelle et non ses victimes. Aussi en se laissant