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qui profèrent le mensonge », l’un prétend qu’aucun mensonge n’est excepté, que tous sont condamnés ; suivant un autre, la condamnation se restreint à ceux qui mentent du cœur, dans le sens expliqué plus haut : car c’est dire la vérité dans son cœur que de subir à regret la nécessité de mentir, en la considérant comme une peine attachée à cette vie mortelle. Un troisième dit : « Dieu perdra tous ceux qui profèrent le mensonge », mais non toute espèce de mensonge ; car il y en a une à laquelle le prophète faisait alors allusion, et qui sera punie chez tous : celle qui a lieu quand quelqu’un refuse de confesser ses péchés, cherche même à les excuser, et ne veut pas en faire pénitence, quand ce n’est pas assez pour lui de faire le mal, mais qu’il désire passer pour juste et écarte le remède de la confession. Cette distinction se trouverait établie par ces paroles : « Vous haïssez tous ceux qui opèrent l’iniquité », mais vous ne les perdrez point si, pleins repentir, ils disent la vérité dans un humble aveu en se confessant pour arriver à la lumière par la pratique de cette vérité, suivant le mot de l’Évangile selon saint Jean : « Mais celui qui accomplit la vérité, vient à la lumière. « Vous perdrez donc tous ceux qui », non seulement opèrent ce que vous haïssez, mais aussi « profèrent le mensonge », en se couvrant du masque de la justice, et en refusant de confesser leurs péchés en esprit de pénitence.

36. Quant au faux témoignage, défendu par le Décalogue, on ne saurait en aucune façon prétendre qu’on peut le porter devant celui à qui l’on parle, pourvu que l’on garde en son cœur l’amour de la vérité. En effet quand on ne s’adresse qu’à Dieu, il suffit que le cœur reste fidèle à la vérité ; mais quand on parle à l’homme, il faut que la bouche du corps énonce aussi la vérité ; parce que l’homme ne lit pas dans le cœur. Mais à ce sujet, il n’est pas déraisonnable de demander devant qui se joue le rôle de témoins. Ce n’est pas devant tous ceux à qui nous parlons, mais devant ceux qui doivent utilement ou nécessairement connaître ou croire la vérité par notre entremise : comme le juge, par exemple, qui doit éviter l’erreur dans ses jugements, ou celui qui reçoit l’enseignement religieux et qui a à craindre soit de se tromper en matière de la foi, soit d’être livré au doute, en vertu de l’autorité même de son maître. Mais quand un homme t’interroge dans le but de savoir de toi une chose qui ne le regarde pas, ou qu’il n’a aucun intérêt à connaître, ce n’est plus un témoin, mais un traître qu’il cherche. En lui répondant par un mensonge, tu échapperas peut-être à la qualification de faux témoin, mais non à celle de menteur.

CHAPITRE XVIII. COMMENT IL FAUT ENTENDRE UN AUTRE PASSAGE DE L’ÉCRITURE. C’EST UNE ERREUR DE MESURER LE MAL SUR LA PASSION ET SUR L’HABITUDE. NOTRE DOUBLE VIE. PEUT-ON COMMETTRE DES PÉCHÉS LÉGERS POUR CONSERVER LA PURETÉ.

Après avoir réservé qu’il n’est jamais permis de porter un faux témoignage, on demande s’il est quelquefois permis de mentir. Que si tout mensonge est un faux témoignage, il faut voir s’il n’y aurait pas compensation, par exemple, quand on le porte pour éviter un plus grand mal ; comme le précepte écrit dans la loi : « Honore ton père et ta mère », est mis de côté quand il se trouve en présence d’un devoir plus important. C’est ainsi que le Seigneur lui-même défend à celui qu’il appelle à annoncer le royaume de Dieu, de rendre les honneurs de la sépulture à son père.

37. Quant à ce qui est écrit : « L’enfant qui reçoit la parole s’éloignera de la perdition ; il la reçoit pour lui et rien de faux ne sort de sa bouche », quelqu’un prétend que cette « parole que l’enfant reçoit » n’est autre que la parole de Dieu, c’est-à-dire la vérité. Par conséquent cette sentence : « L’enfant qui reçoit la vérité s’éloignera de la perdition », correspond à cette autre : « Vous perdez tous ceux qui profèrent le mensonge ». Et qu’insinue la suite du texte, « il la reçoit pour lui », sinon ce que dit l’Apôtre : « Que chacun éprouve ses propres œuvres, alors il trouvera sa gloire dans lui-même et non dans un autre ? » En effet celui qui reçoit la parole, c’est-à-dire la vérité, non pour lui-même, mais pour plaire aux hommes, ne la garde plus dès qu’il voit qu’il peut plaire à ceux-ci par le mensonge. Mais celui qui la reçoit pour lui, ne laisse rien de faux sortir de sa bouche ; même quand le mensonge pourrait plaire aux hommes, il ne ment point, parce qu’il n’a pas reçu la vérité pour leur plaire mais pour plaire à Dieu. Ici il