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et de la voix du corps l’invention forgée contre quelqu’un, mais qu’on désire secrètement que le prochain soit cru tel qu’on le dit : ce qui est bien la détraction sortie de la bouche du cœur, laquelle, selon le texte, ne saurait échapper à Dieu.

34. Car ce qui est écrit ailleurs : « Garde-toi de vouloir proférer aucune espèce de mensonge », ne signifie pas, selon eux, qu’on ne doit absolument pas mentir. Un autre prétend que ce texte de l’Ecriture défend en général toute espèce de mensonge, au point que la seule volonté de mentir est déjà condamnable, même quand l’acte ne suit pas ; c’est pourquoi le texte ne porte pas : ne profère aucune espèce de mensonge ; mais « Garde-toi de vouloir proférer aucune espèce de mensonge », en sorte que personne ne doit se permettre, non-seulement de mentir, mais même d’avoir l’intention de mentir.

CHAPITRE XVII. LE VERSET 7e DU PSAUME Ve S’INTERPRÈTE AUSSI DE TROIS FAÇONS. COMMENT IL FAUT ENTENDRE LA DÉFENSE DE PORTER UN FAUX TÉMOIGNAGE.

Un autre dit : « N’aie jamais la volonté de proférer aucune espèce de mensonge », ce qui signifie qu’il faut bannir et repousser de la bouche du cœur toute espèce de mensonge ; c’est-à-dire qu’il est certains mensonges qu’on doit interdire à la bouche du corps, surtout ceux qui touchent à la doctrine religieuse, qu’il en est d’autres qu’on ne doit point interdire à cette même bouche du corps, quand ils sont nécessaires pour éviter un plus grand mal ; mais qu’il faut absolument les interdire tous à la bouche du cœur. Et ce serait là le sens de ces mots. « N’aie jamais la volonté ». Car la volonté est pour ainsi dire la bouche du cœur, et cette bouche n’a point de part au mensonge que nous prononçons malgré nous pour éviter un plus grand mal. Il y a encore une troisième interprétation, d’après laquelle ces mots « toute espèce » laisseraient, sauf certains cas, la permission de mentir ; ce serait comme si l’on disait : ne te fie point à tout homme ; ce qui ne veut pas dire : ne te fie à personne, mais ne te fie pas à tout le monde, c’est-à-dire fie-toi seulement à quelques-uns. Et la suite du texte : « Car l’habitude du mensonge est funeste », condamnerait non le mensonge, mais le mensonge fréquent, c’est-à-dire l’habitude et le goût du mensonge. Car c’est là qu’aboutirait certainement l’homme qui pousserait l’abus jusqu’à se permettre toute espèce de mensonge (et il ne s’en abstiendrait pas même sur ce qui touche à la religion et à la piété : ce qui est non-seulement le plus odieux des mensonges, mais le plus détestable des péchés) ; ou jusqu’à plier sa volonté à toute espèce de mensonge, même facile, même innocent : il en viendra à mentir, non plus pour éviter un plus grand mal, mais de gaîté de cœur et avec plaisir.

Il y a donc trois manières d’interpréter ce texte : ou évite non seulement toute espèce de mensonge, mais même la volonté de mentir ; ou abstiens-toi de la volonté de mentir, mais mens à regret, quand il faut éviter un plus grand mal ; ou, à part certains mensonges, permets-toi les autres. La première de ces interprétations est pour ceux qui interdisent le mensonge d’une manière absolue ; les deux autres pour ceux qui pensent qu’on peut mentir en certains cas. Quant à l’autre partie du texte : « Car l’habitude de mentir est « funeste », je ne sais si elle est en faveur du premier de ces sentiments, à moins qu’on ne l’explique ainsi : c’est la loi des parfaits, non-seulement de ne jamais mentir, mais de ne jamais vouloir mentir, et l’habitude du mensonge ne peut être permise à ceux qui veulent avancer dans la vertu. Et si, à cette loi de s’interdire absolument non-seulement le mensonge, mais toute volonté de mentir, on opposait certains exemples, dont quelques-uns sont appuyés d’une grande autorité, on répondrait que c’est là le fait d’hommes en voie de progrès, de se permettre des actes qui ont eu pour motif un devoir quelconque d’humanité au point de vue des intérêts temporels ; mais que le mensonge en lui-même est tellement mauvais, que les hommes spirituels et parfaits doivent l’avoir tellement en horreur, que son habitude ne peut être permise à ceux même qui sont en voie de progrès. En effet nous avons déjà dit que le mensonge des sages-femmes égyptiennes n’a été approuvé que d’après leur caractère et comme un premier pas vers le mieux : car mentir par bonté d’âme et pour sauver la vie temporelle de quelqu’un, c’est entrer dans le chemin qui conduit à l’amour du véritable salut, du salut éternel.

35. Sur le texte : « Vous perdrez tous ceux