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pas de faux témoignage et qu’on est utile à quelqu’un : ce serait un acte de folie et un grand péché de s’exposer aux tourments de gaîté de cœur et sans raison, de livrer en pure perte à la fureur des bourreaux une santé, une vie qui peuvent être utiles. Et moi je demande à ce chrétien pourquoi il craint ce qui est écrit : « Tu ne porteras point de faux témoignage », et ne redoute pas ce que le Psalmiste dit à Dieu : « Vous perdrez ceux qui profèrent le mensonge ? ». — Non pas toute espèce de mensonge, dira-t-il, cela n’est pas écrit ; car j’entends le texte, comme si on lisait : Vous perdrez tous ceux qui portent un faux témoignage ? — Mais là non plus il n’est pas dit Toute espèce de faux témoignage. — Soit, répliquera-t-on, mais ce péché est rangé parmi ceux qui sont mauvais en tout sens. — Quoi ! même celui-ci : « Tu ne tueras pas ? » Si tuer est un mal absolu, comment excuser les justes qui, même après la promulgation de la Loi, ont tué beaucoup de monde ? Mais on répond que celui qui exécute un ordre juste n’est plus homicide. Je comprends donc cette crainte ; mais aussi je reconnais que ce vertueux évêque, en ne voulant ni mentir ni trahir un homme, a mieux compris les textes selon moi, et y a courageusement conformé sa conduite.

24. Mais il s’agit de l’hypothèse où l’on ne nous demande pas en quel lieu se trouve celui que l’on cherche pour le faire mourir, où nous ne sommes pas obligés de le trahir, s’il est si bien caché qu’il ne puisse facilement être découvert sans être décélé ; mais où l’on nous demande simplement s’il est là, oui ou non, ou n’y est pas. Si nous savons qu’il y est, nous le trahissons en gardant le silence, ou en répondant que nous ne dirons ni oui ni non

car on en conclura qu’il y est, puisque, s’il n’y était pas, il suffirait, pour ne pas mentir ni trahir, de répondre qu’il n’y est pas. Ainsi notre silence ou notre réponse évasive le trahit, puisque celui qui le cherche entrera, s’il en a le pouvoir, et le découvrira, tandis qu’un mensonge de notre part aurait pu empêcher, écarter ce résultat. Par conséquent, si tu ne sais pas où il est, tu n’as aucun motif de cacher la vérité ; tu dois simplement avouer ton ignorance. Mais si tu sais où il est, que ce soit là, ou ailleurs, à cette question : Est-il là ou n’y est-il pas ? tu ne dois pas dire : Je ne réponds pas à ce que tu me demandes, mais bien : Je sais où il est et je ne te l’indiquerai jamais. Car si on détermine un lieu et que tu te contentes de répondre que tu ne diras rien, c’est comme si tu montrais le lieu même du doigt, puisque tu fais naître un soupçon qui est bien près de la certitude. Mais si tu commences par avouer que tu connais l’endroit et que tu ne veux pas le dire, peut-être pourras-tu donner le change, détourner les recherches et provoquer des violences pour t’obliger à trahir celui qu’on cherche. Dans ce cas, non-seulement tu ne mériteras point le blâme, mais tu seras digne d’éloges, quoique tu puisses souffrir généreusement par fidélité et par humanité, sauf ces honteux outrages qui ne supposent pas la force, mais l’impudicité dans celui qui les subit. Et c’est là la dernière espèce de mensonge, que nous devons examiner avec plus d’attention.

CHAPITRE XIV. HUIT ESPÈCES DE MENSONGES.

25. La première espèce, l’espèce capitale, celle qu’il faut éviter et fuir avant tout, c’est le mensonge en matière d’enseignement religieux ; en aucun cas, on ne doit s’y prêter. Le second, c’est celui qui blesse injustement, celui qui nuit à quelqu’un sans servir à personne. Le troisième sert à l’un, nuit à l’autre, et n’empêche point la souillure du corps. Le quatrième n’a d’autre but que de dire faux et de tromper : c’est le mensonge tout pur. Le cinquième tend à plaire et à jeter de l’agrément dans le discours. Après ces cinq catégories qu’il faut absolument éviter et condamner, vient le sixième : le mensonge qui sert à quelqu’un et ne nuit à personne ; comme par exemple quand quelqu’un connaissant le lieu où est cachée une somme qu’on voudrait prendre injustement, répond à qui s’en informe qu’il n’en sait rien. La septième ne nuit à personne et profite à quelqu’un, avec la différence que l’on est interrogé parle juge ; comme par exemple si l’on ment pour ne pas trahir un homme destiné à la mort, non-seulement un homme juste et innocent, mais un criminel, par la raison que c’est un point de la doctrine chrétienne qu’on ne doit désespérer du salut de personne ni fermer à personne la voie du repentir. Nous avons traité assez longuement ces deux dernières espèces, qui prêtent matière à de grandes controverses