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pour le donner à un plus faible, ni battre de verges un innocent malgré lui, pour faire éviter la mort à un autre. Il en serait autrement s’ils y consentaient ; en ce cas, on ne leur ferait plus injure.

CHAPITRE X. IL NE FAUT JAMAIS MENTIR EN MATIÈRE DE RELIGION.

Mais est-il permis de détourner un attentat honteux du corps d’un homme, en accusant faussement un autre du même crime, même du consentement de celui-ci ? c’est une grave question, et je ne sais s’il serait facile de prouver qu’il soit plus juste d’accuser faussement d’un tel crime celui qui consent à subir cette calomnie, que de faire subir ce déshonneur au corps d’un homme qui ne veut pas y consentir.

17. Toutefois si l’on proposait à celui qui a mieux aimé offrir de l’encens aux idoles que d’être déshonoré dans son corps, si on lui proposait, dis-je, de se soustraire à la première injonction en proférant un mensonge injurieux à la mémoire du Christ, il serait le plus insensé des hommes s’il y consentait. Je dis plus : il serait encore plus insensé, si pour se soustraire à l’infâme passion d’un autre, pour éviter un outrage absolument indépendant de sa volonté, il altérait l’Évangile par de faux, éloges du Christ : plus zélé à éviter un attentat contre son corps, qu’à ne pas corrompre, qu’à respecter la doctrine qui sanctifie les âmes et les corps. Il faut donc absolument écarter toute espèce de mensonge de l’enseignement de la religion, et de toutes les explications, de tous les énoncés qui s’y rattachent quand on travaille à l’instruction des autres ou à la sienne. Il est impossible d’imaginer un motif qui justifie le mensonge en tel cas ; on ne le peut pas, même dans le but d’attirer quelqu’un plus facilement à cette doctrine. En effet, dès que la vérité est détruite, ou même légèrement atteinte, tout retombe dans l’incertitude : car on ne peut croire comme vrai ce qu’on ne tient pas pour certain. Il est donc permis à celui qui disserte ou discute sur les vérités éternelles et à celui qui les prêche, à celui qui raconte ou explique des événements temporels qui tendent à l’édification religieuse et à la piété, il lui est permis, dis-je, de taire dans l’occasion tout ce qu’il croit devoir passer sous silence ; mais il ne peut jamais mentir, par conséquent jamais rien cacher par un mensonge.

CHAPITRE XI. IL FAUT ÉVITER LES MENSONGES QUI NUISENT A UN AUTRE OU A SOI-MÊME. DIFFÉRENCE ENTRE L’HOMME QUI MENT ET LE MENTEUR.

18. Ce point une fois solidement établi, on procède plus sûrement à l’étude des autres espèces de mensonge. Mais on voit déjà clairement qu’il faut s’interdire tous ceux qui blessent quelqu’un injustement : car on ne doit faire à personne un tort, même léger, pour en éviter un plus grave à un tiers. Il ne faut pas davantage se permettre ces mensonges qui ne nuisent pas à un autre, mais ne profitent à personne et font tort à celui qui les profère sans raison. C’est là proprement ce qu’on appelle être menteur. Car il y a cette différence entre le mentant et le menteur. Le mentant est celui qui ment malgré lui ; le menteur aime à mentir et goûte intérieurement le plaisir de le faire. Mettons à la suite ceux qui mentent pour plaire aux hommes, non dans le huit de faire tort ou injure à quelqu’un (nous avons déjà écarté cette catégorie) mais pour donner de l’agrément à leurs conversations. La différence qu’il y a entre ces menteurs et ceux dont nous parlions tout à l’heure, c’est que les premiers se plaisent à mentir, éprouvant une jouissance à tromper, tandis que ceux-ci ne cherchent que l’agrément du langage, et qu’ils préféreraient même l’emprunter à la vérité, mais à défaut de vérités qui puissent charmer les auditeurs, ils aiment mieux mentir que de garder le silence. Il leur est difficile cependant de fonder tout un récit sur le mensonge, alors ils mêlent le vrai et le faux, dès que l’intérêt languit. Or ces deux espèces de mensonges ne font point de tort à ceux qui les écoutent, parce qu’il ne s’agit ni de l’enseignement de la religion et de la vérité, ni de rien qui touche à leurs avantages ou à leurs intérêts. Il leur suffit de croire possible ce qu’on leur raconte, et d’ajouter foi à un homme qu’ils ne doivent pas juger capable de mentir à tort et à travers. En effet quel mal y a-t-il à regarder le père ou le grand-père d’un tel comme un homme de bien, quoiqu’il ne l’ait pas été, ou à croire qu’il a porté les armes jusqu’en Perse,