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du salut ; ainsi que le font voir ces paroles de Paul : « Comment forces-tu les Gentils à judaïser ? » Or les Gentils n’y étaient forcés que parce qu’ils voyaient Pierre pratiquer ces observances comme si elles eussent été nécessaires au salut. Il ne faut donc pas comparer la dissimulation de Pierre à la liberté avec laquelle Paul agit. Par conséquent nous devons aimer Pierre acceptant de bon cœur la réprimande, et ne point invoquer en faveur du mensonge l’autorité de Paul qui a ramené publiquement Pierre dans le droit chemin, de peur que son exemple ne forçât les Gentils à judaïser. Et comme il passait pour ennemi des traditions paternelles, parce qu’il ne voulait pas les imposer aux païens, afin de confirmer sa doctrine par sa conduite, il n’a pas dédaigné de se conformer à ces mêmes traditions suivant l’usage du pays ; faisant assez voir par là que, par le fait de l’arrivée du Christ, ces rites n’étaient ni nuisibles aux Juifs, ni nécessaires aux Gentils, ni avantageux à personne.

9. Ainsi on ne peut justifier le mensonge d’après les livres de l’Ancien Testament, soit parce que tout ce qui se fait ou se dit en sens figuré n’est pas mensonge, soit parce qu’on ne propose pas à l’imitation des bons ce qui est chez les méchants un premier pas dans la voie du progrès, par comparaison à des actions pires ; ni d’après les livres du Nouveau Testament, parce que c’est la réprimande, et non la dissimulation, qu’on nous y offre pour modèle ; comme ailleurs c’est la douleur de Pierre, et non son reniement, qu’on y présente à notre imitation.

CHAPITRE VI. LE MENSONGE EST UNE INIQUITÉ ; IL DONNE LA MORT A L’ÂME ; ON NE PEUT DONC LE COMMETTRE POUR SAUVER LA VIE TEMPORELLE À QUI QUE CE SOIT.

Ces mêmes hommes prétendent, avec beaucoup plus d’assurance encore, qu’on ne doit avoir aucun égard aux exemples tirés de l’usage général. Et d’abord, ils affirment que le mensonge est une iniquité, et le prouvent par de nombreux textes des saintes Ecritures, et celui-ci surtout : « Vous haïssez, Seigneur, tous ceux qui commettent l’iniquité, vous perdrez tous ceux qui professent le mensonge ». Ou le Psalmiste, disent-ils ici, explique par le verset suivant le sens du premier, suivant l’usage de l’Ecriture, en sorte que, la signification du mot iniquité étant plus étendue, il aura nommé le mensonge pour spécifier un genre d’iniquité ; ou, s’il v a une différence, elle tournera contre le mensonge, qui l’emportera en gravité de toute la distance qui sépare ces deux mots « vous haïssez » et « vous perdrez ». Car il peut arriver que la haine de Dieu soit mitigée jusqu’à ne point perdre celui qui en est l’objet ; mais celui qu’il perd, il le hait d’autant plus violemment qu’il le punit plus sévèrement. Or, il hait tous ceux qui commettent l’iniquité, mais il perd ceux qui profèrent le mensonge. Cela posé, qu’importe aux défenseurs de cette opinion qu’on leur propose cet exemple : si un homme se sauvait chez toi, et que tu pusses l’arracher à la mort par un mensonge, que ferais-tu ? Car, cette mort que redoutent dans leur folie les hommes qui ne craignent pas de pécher, ne tue pas l’âme, mais le corps, comme le Seigneur l’enseigne dans l’Évangile ; aussi ne veut-il point qu’on la craigne ; tandis que la bouche qui ment tue l’âme et non le corps. L’Ecriture dit en effet très-clairement : « La bouche qui ment, tue l’âme ». Quel crime n’y a-t-il donc pas à dire qu’on doit donner la mort à son âme, pour sauver chez un autre la vie du corps ? Car enfin, l’amour qu’on doit au prochain est limité par l’amour qu’on se doit à soi-même. « Tu aimeras », est-il dit, « ton prochain comme toi-même ». Comment donc aimerait-on son prochain comme soi-même, si on perdait la vie éternelle pour lui procurer la vie temporelle ; puisque sacrifier sa propre vie temporelle pour sauver une vie temporelle, ce n’est déjà plus aimer son prochain comme soi-même, mais plus que soi-même : ce qui outre-passe les règles de la saine doctrine ? A bien plus forte raison n’est-ce pas aimer son prochain comme soi-même que de perdre par un mensonge la vie éternelle pour lui sauver la vie temporelle. Sans doute un chrétien n’hésitera pas à sacrifier la vie du temps pour procurer la vie éternelle à son prochain : le Seigneur en a donné l’exemple en mourant pour nous. Et c’est le sens de ces paroles du Sauveur : « Voici mon commandement : c’est que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous aime. Personne n’a un plus grand amour que celui qui a