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aussi rigoureuse ? Les chiens, du moins, peuvent ordinairement jouir du bienfait des restes de leurs maîtres ; car de la table de ceux-ci tombent des miettes que les chiens, aussi attentifs qu’ils sont affamés, ne laissent pas parvenir jusqu’à terre. Vous me qualifiez du nom de ces animaux ; je ne réclame point le pain des enfants, mais je désire seulement recevoir quelques paroles de votre miséricorde ; je ne suis point en proie à un transport furieux qui me pousse à tourner contre Dieu le venin qui me dévore. Le nom de chien me convient, je l’avoue ; l’écho de mes aboiements a dû bien des fois, déjà, arriver jusqu’à vous ; j’abois, mais sans rien obtenir, quoique la lumière de mon intelligence ne soit point obscurcie par un accès de rage violente ; je ne demande pas, comme vous l’avez dit, le pain de vos enfants ». C’est ici, en effet, le cas de répéter cette parole du Prophète : « J’ai engendré et élevé des enfants, et ces enfants m’ont méprisé[1] » ; car les hommages que ces enfants rendent au Seigneur consistent à oublier tant et de si grands bienfaits qu’ils ont reçus de lui, et à porter le mépris et l’arrogance jusqu’à nier l’autorité et la puissance de leur père. Cette femme donc parle ainsi : « Aussi longtemps qu’il vous plaira, Seigneur, appelez-moi chienne ; vous n’aurez pas moins à subir l’impudence de mes aboiements, vous ne serez pas moins obligé d’assouvir ma faim par une parole de votre bouche ; et, si vous me méprisez à cause de la race à laquelle j’appartiens, je ne cesserai pas, néanmoins, de brûler pour vous de cet amour qui n’a jamais pu vous déplaire. Alors même que vous me repousseriez, je ne cesserais de m’attacher à vos pas. Je vous invoquerai alors sous le titre de Maître de toute la nature ; je proclamerai votre divinité ; et si ma langue était impuissante à exprimer les sentiments de mon cœur, je m’efforcerais encore de vous offrir intérieurement l’hommage de ma foi, de mes adorations, de ma vénération profonde et de mon ardente prière. C’est déjà par un effet de votre miséricorde que je continue à solliciter un bienfait de votre part, que je n’ai point encore cessé d’aboyer. Je ne réclame qu’un mot de votre bouche ; ce mot seul pourra éteindre le feu de mes désirs. Je vous prie, je vous supplie avec une confiance sans bornes ; ma fille est en proie à une vive douleur. Votre divinité est pour moi une chose tellement certaine, que je ne doute point qu’une seule parole tombée de vos lèvres ne rende la santé à celle que la science d’aucun homme n’a pu guérir. Les exemples de votre miséricorde m’encouragent et me contraignent à me montrer importune. Je me souviens que vous avez dit : « Demandez, et il vous sera donné[2]. Après de telles promesses, qui n’aurait recours à vous ? qui ne solliciterait les récompenses promises par vous à la prière ? Je vous en supplie donc, accordez-moi l’objet de ma demande ».

4. Notre-Seigneur, donc, et Sauveur, touché de cette prière et voyant la foi de celle qui la lui adressait, se contenta de lui donner cette réponse : « O femme, votre foi est grande, qu’il vous soit fait selon votre foi[3] ». Le Seigneur ne dit point : Je vous donnerai ce que vous demandez ; il ne met d’autres bornes à sa libéralité que les bornes mêmes que cette femme a mises à ses désirs ; elle reçoit tout ce que sa foi l’a déterminée à demander. Et nous aussi, mes frères, croyons avec une foi telle que nous méritions d’obtenir tout ce que nous demanderons avec de semblables dispositions.

  1. Isa. 1, 2
  2. Mat. 3, 7
  3. Id. 15, 28