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mains, les instructions, les avertissements, les armes dont il avait besoin pour conserver son innocence ; car, puisqu’il devait lutter contre le démon, il avait besoin d’être muni de certaines armes, je veux dire, de la prudence, de la sagesse, de la raison. Le Seigneur y ajouta une loi qui lui faisait connaître la volonté divine et qui lui apprenait quelles seraient les conséquences immédiates de la désobéissance à cette volonté. Car, à l’instant même où l’homme, par un oubli également fatal et incompréhensible, préféra les suggestions du démon aux ordres de Dieu, il perdit à la fois la vie qu’il possédait, et il reçut la mort qu’il n’avait pas encore appris à connaître. Adam se trouvait en présence de son épouse et du démon, en présence d’Eve et de leur ennemi commun, en présence de la femme et du serpent. Le démon employa les artifices de sa ruse perfide : Eve consentit aux suggestions diaboliques et se perdit ; le démon, par sa fourberie et son astuce mensongère, tendit un piège à la femme ; la femme donna tête baissée dans ce piège ; le démon, désespérant de séduire Adam directement, eut recours à l’intermédiaire de la femme ; et celui qui, après avoir été créé le premier par Dieu, devait trouver dans la personne d’Eve une épouse et une aide, ne trouva dans cette même personne que la mort.

2. O douleur ! ce qui devait être une cause de félicité devient un sujet de larmes ; il trouve sa perte là où il devait trouver un secours et un appui. Le trait qui cause à Adam la blessure la plus profonde vient non pas du côté de son ennemi, mais d’une main amie ; il succombe sous son propre fer plutôt que sous le fer de son adversaire ; un glaive étranger ne lui eût point fait une blessure aussi meurtrière que celle qu’il reçoit de son épouse. Le rusé serpent s’avance pour exercer sa fourberie ; il s’avance pour insinuer son venin, non pas à l’homme, irais à la femme : disons mieux, il s’avance pour les entraîner l’un et l’autre à leur perte par le consentement d’un seul. Il suggère l’accomplissement d’une action qui sera fatale à tous deux ; tous deux subiront les tristes conséquences de la faute commise par celle qui, la première, aura laissé infecter son esprit par ses suggestions également perfides et venimeuses. Enfin, dès qu’elle a donné son consentement, la femme remplit vis-à-vis de son mari le même rôle que le perfide serpent a rempli vis-à-vis d’elle-même. Eve s’est laissé persuader, et elle persuade ; un venin mortel lui a été communiqué, et elle le communique à son tour ; elle a été trompée, et elle trompe. Aussi est-elle vouée à un double châtiment, l’un personnel, l’autre commun : par le premier, elle est condamnée à enfanter dans la douleur ; par le second, elle est condamnée à mourir et à voir le même sort réservé à Adam ; l’un de ces châtiments lui est infligé parce qu’elle a cédé aux sollicitations du serpent, l’autre, parce qu’elle a sollicité ensuite elle-même son mari. Parce qu’elle a donné son consentement, elle entend prononcer contre elle une sentence de mort ; et elle a mérité d’enfanter dans la douleur, parce qu’elle a exercé à son tour l’office de tentateur. Comment ignorer la réalité de cette sentence, puisqu’elle s’exécute dans la personne de chacun de nous ! Quant à ceux qui refusent de croire à la vérité de ce récit, la conviction pénétrera malgré eux dans leur esprit le jour où ils disparaîtront de ce monde ; et par rapport à ceux qui ignorent ces mêmes faits, ils apprendront à les connaître, quand cette sentence s’accomplira dans leur personne.

3. O crime ! ô impiété sacrilège ! on méprise un commandement de Dieu, et on prête une oreille attentive aux paroles du serpent. On dédaigne les préceptes d’une Providence infiniment miséricordieuse, et on accueille favorablement les discours trompeurs du plus astucieux de tous les animaux. On foule aux pieds des avertissements salutaires, et l’on prend conseil de son plus mortel ennemi. Aussi a-t-on dit que la mort est le triste fruit du mépris par lequel l’homme a préféré obéir aux suggestions du serpent. Adam et Eve sont dépouillés de leur gloire, ils sont privés de leur dignité. Ils deviennent ce qu’ils n’étaient point, en même temps qu’ils perdent les qualités brillantes qu’ils avaient reçues de la libéralité divine. Le serpent se réjouit d’avoir réussi dans l’accomplissement de son dessein ; il se félicite d’avoir porté à l’homme un coup mortel, ainsi qu’il le désirait. Il tressaille, il triomphe en présence du succès de son entreprise abominable, en voyant que les hommes ont été complètement trompés par lui ; et il ignore, le malheureux, qu’il s’est percé du trait dont il a percé les autres ;