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en dessous et de s’aggraver, pour préserver le malade de plus cruelles souffrances. Donc, mes frères, vous prenez toutes les précautions possibles, afin de rétablir votre santé corporelle, quand elle se trouve compromise ; et, pourtant, ce corps doit mourir un jour, car sa condition le condamne à tomber plus tard en poussière. Sans doute, nous espérons qu’il ressuscitera, mais, en attendant, il faut qu’il subisse cette sentence : « Tu es terre, et tu retourneras en terre[1] ». De telles paroles montrent à l’homme le peu de valeur de son enveloppe mortelle, puisqu’elles lui apprennent que, s’il a été tiré de la terre, il y rentrera. Pourquoi donc, mes très-chers frères, attacher notre cœur aux choses d’un rang inférieur ? Sachez-le bien, le corps est inférieur à l’âme par la dignité ; car l’âme, c’est la maîtresse du corps, les membres sont à son service, elle en dispose, à son gré, pour les usages qui, lui conviennent. Quant à elle, après avoir gouverné cet esclave soumis à ses ordres, elle reste à l’abri de la mort, même quand la mort brise les liens qui l’unissaient au corps. La condition de notre âme est donc infiniment supérieure à celle de notre corps ; même dans notre façon ordinaire de parler, nous en rendons témoignage, lorsque nous disons le plus souvent : Pour le salut de notre âme, ne voulez-vous pas faire cela ? La raison et l’opinion générale attribuant à l’âme la primauté d’honneur, que ne devons-nous pas faire pour conserver intact et dans toute son intégrité ce que nous a procuré notre première ou notre seconde naissance, c’est-à-dire la grâce sanctifiante ou l’innocente naturelle ? À les garder consiste la beauté de l’âme, l’intégrité de sa forme, sa santé, son élégance : comme, parmi les corps, il n’y a de beaux que ceux sur lesquels on n’aperçoit ni taches, ni cicatrices ; ainsi les âmes ne conservent l’éclat e leur primitive beauté qu’autant qu’elles ne sont rendues hideuses ni par les souillures ni par les blessures du péché.
2. Mais les hommes ont rarement le bonheur d’avoir toujours conservé la santé de leur âme, de parcourir le chemin de la vie sans rencontrer de pierre d’achoppement, de n’être sujet à aucune illusion : qu’ils mettent donc, du moins, à obtenir leur guérison spirituelle, un zèle pareil à celui qu’ils mettent à recouvrer la santé de leur corps. Qu’aux blessures de leur âme ils appliquent la main du conseil, et si elle a été transpercée par la lance du péché, qu’elle prenne le remède de la pénitence ; et si elle gît malade, qu’on la réchauffe dans le bain des larmes. Le désespoir ne doit pas ôter à ceux qui veulent guérir l’espérance de sortir de leur maladie et la faculté de revenir à la santé. Le Prophète a dit, en effet : « Celui qui tombe ne cherchera-t-il jamais à se relever, et celui qui s’est éloigné ne se rapprochera-t-il point ?[2] » Sortons donc de l’abîme de fausse honte où nous sommes tombés, relevons-nous pour aller à Dieu, et après notre chute, ne restons pas misérablement couchés par terre. N’allons pas couvrir nos ulcères du voile de la confusion, car la corruption s’étendrait infailliblement plus loin et atteindrait bientôt les parties nobles. Laissons-nous relever par l’espoir de guérir le mal que la honte dérobe aux regards ; ce sentiment de fausse pudeur est ridicule, car rien n’échappe à la vue de celui-là seul dont l’œil est à craindre. À quoi bon des hommes cacheraient-ils ce que Dieu connaît par lui-même ? Si le juge sait les fautes du coupable, de quel avantage sera pour celui-ci que tous les autres les ignorent ? Ce juge est celui dont le Psalmiste a dit : « Dieu scrute les reins et les cœurs ». « Il démêle », ajoute l’Apôtre, « les pensées et les mouvements du cœur [3] ». « Aucune créature n’est invisible pour lui, mais tout est à nu et à découvert devant ses yeux[4] ». Pourquoi donc nous tromper au point de croire que nous pouvons lui dérober la connaissance de nos misères ? De ce que les hommes ignorent nos fautes, s’ensuit-il que le voile épais dont nous les couvrirons suffira à les dérober à la vue de Dieu ? Mes frères, rien de plus dangereux pour une âme pécheresse que de se refuser à avouer ses faiblesses, ou de s’étudier à les cacher. Comment, en effet, guérir celui qui, malgré ses trop réelles blessures, veut paraître bien portant ? C’est impossible, mais il est bien près de revenir à la santé celui qui, repoussant les appréhensions d’une fausse honte, va se montrer au médecin et lui dit : « Prenez pitié de moi, Seigneur, car je suis infirme : « guérissez-moi, parce que je vous ai offensé[5] » ; qui lui révèle la plaie hideuse de ses fautes,

  1. Gen. 3, 19
  2. Psa. 11, 9
  3. Id. 7, 10
  4. Heb. 4, 12
  5. Id. 13