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l’existence. Cependant si l’on ne pouvait haïr ce que l’on ne connaît pas, la Vérité même ne nous aurait pas dit de son Père, qu’on ne le connaît pas et en même temps qu’on le hait. Mais comment cela se peut-il faire ? C’est ce que, avec l’aide de Dieu, nous essaierons de vous montrer ; mais ce ne sera pas aujourd’hui, car il est temps de finir ce discours.

QUATRE-VINGT-DIXIÈME TRAITÉ.

SUR CES PAROLES : « CELUI QUI ME HAIT, HAIT AUSSI MON PÈRE ». (Chap. 15, 23.)

LA VÉRITÉ HAÏE SANS ÊTRE CONNUE.

Comment les Juifs ont-ils pu haïr le Père, puisqu’ils ne le connaissaient pas ? Une comparaison va le faire comprendre. Nous ne pouvons lire dans le cœur d’autrui, et si nous aimons la vertu et que nous haïssions le vice, il peut se faire que nous aimions sans le savoir un homme bon que nous croyons mauvais, ou que nous détestions un homme méchant qui nous semble bon. Ainsi les Juifs détestaient les peines infligées à leur conduite blâmable par la Vérité, sans savoir si c’était la Vérité qui les condamnait ; ils ne la connaissaient donc pas, et ils baissaient, par conséquent, sans le connaître, le Père de la Vérité.


1. Vous avez entendu dire au Seigneur « Celui qui me hait, hait aussi mon Père » ; il avait dit plus haut : « Ils vous feront ces choses parce qu’ils ne connaissent pas Celui qui m’a envoyé n. De là naît une difficulté qu’il ne faut pas éluder, la voici : Comment peuvent-ils haïr celui qu’ils ne connaissent pas ? Car s’ils supposent ou croient que Dieu est, non pas ce qu’il est, mais je ne sais quelle autre chose, et si c’est cela qu’ils haïssent, alors ce n’est pas lui qu’ils haïssent, mais bien ce dont ils se font l’idée dans leur supposition trompeuse ou leur vaine crédulité ; mais si, au contraire, ils se représentent Dieu tel qu’il est réellement, comment peut-on dire qu’ils ne le connaissent pas ? Quand il s’agit des hommes, il peut se faire que souvent nous aimions ceux que nous n’avons jamais vus ; et, par contre, il n’est pas impossible que nous haïssions aussi ceux que nous n’avons jamais vus. La renommée nous parlant de quelqu’un en bien ou en mal, il en résulte naturellement que nous aimons ou que nous haïssons un inconnu. Mais si la renommée dit vrai, comment pouvons-nous donner le nom d’inconnu à celui sur le compte duquel nous avons appris la vérité ? Est-ce parce que nous n’avons pas vu son visage ? Il ne le voit pas lui-même, et cependant il ne peut être plus connu à personne qu’à lui-même. Ce n’est donc pas par la vue du visage extérieur que nous acquérons la connaissance de quelqu’un ; mais nous le connaissons quand nous savons quelle est sa vie et quelles sont ses mœurs. Autrement personne ne pourrait même se connaître, puisque personne ne peut voir son propre visage. Cependant chacun se connaît lui-même mieux que les autres ne le connaissent ; il se connaît d’autant plus sûrement qu’il peut mieux considérer son intérieur, voir ce qu’il pense, ce qu’il désire, comment il vit ; lorsque tout cela nous est connu dans un homme, cet homme lui-même nous est vraiment connu. Aussi, comme toutes ces choses nous sont rapportées sur les absents ou sur les morts, soit pur la renommée, soit par les lettres, il arrive souvent que nous aimons ou que nous haïssons des hommes dont nous n’avons jamais vu le visage (mais qui cependant ne nous sont pas tout à fait inconnus).
2. En cela, le plus souvent notre bonne foi se trouve trompée, car quelquefois l’histoire et encore plus la renommée sont mensongères. Mais comme nous ne pouvons scruter la conscience des hommes, c’est à nous de veiller, pour n’être pas induits en erreur par une dangereuse opinion, à avoir de ces choses une