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où il a souffert le martyre, Jean est entré en possession de la bienheureuse éternité, tandis qu’Hérode est tombé sous les coups de la mort le jour où il est né. N’est-ce pas un triste et lamentable jour, celui où un homme, après avoir ouvert, pour la première fois, les yeux à la lumière, se trouve amené, non pas à recueillir la flatteuse réputation que procure une vie de miséricorde et de mansuétude, mais à se déshonorer par une vilaine et cruelle action ? Jean avait été jeté en prison comme coupable d’avoir proféré une réprimande imméritée ; car, pour ceux qui vivent mal, les préceptes de la justice sont insupportables : personne ne lui reprochant plus dès lors son inqualifiable désordre, le roi Hérode s’abandonnait à la joie. Après la condamnation du Prophète, qui avait osé signaler l’odieuse conduite du tétrarque, qui est-ce qui se serait senti le courage de reprendre ou d’avertir librement cet orgueilleux ? Des peines sévères ne menaçaient-elles pas d’avance l’homme assez indépendant pour protester ? D’ailleurs, les rois coupables ne trouvent-ils pas des flatteurs qui approuvent même leurs crimes et leurs hontes ?
2. Mais c’en est assez. Voici venu le jour de la naissance du roi ; il nage dans la joie on le complimente sur la prolongation de son existence, sur le nombre croissant de ses années. Pourrait-il ne pas recevoir avec plaisir de si flatteuses paroles ? Aveugle perspicacité des hommes ! Ils se complaisent dans le présent ou dans le bonheur, et ils ne savent prévoir ni l’avenir, ni les retours de la fortune ! Bientôt, l’intérieur de la demeure royale se revêt de splendides et luxueux ornements : sous ces lambris dorés se prépare un sanglant festin. Des festons de verdure contournent les portes, les murs se tapissent de fleurs ; partout, dans ces appartements néfastes et bientôt remplis d’horreur, on aperçoit des couronnes : on s’y croirait sous l’épaisse feuillée d’un bois. Tous les charmes du printemps, amenés par l’art, semblent s’y rencontrer pour tromper le regard et y représenter la nature dans ce qu’elle a de plus gracieux. Mais si quelqu’un y trouva du plaisir, ce fut, non pas Hérode, mais Jean-Baptiste : si le parfum des fleurs vint flatter quelqu’un, ce fut, non pas le roi, mais le martyr. À voir le tyran de la nation juive étaler, dans une salle de festin, tant de richesse et de faste, on eût dit qu’il voulait fêter aussi joyeusement ses convives, que s’il leur sacrifiait dans un repas tous ses revenus et sa fortune. Des meubles en grand nombre et d’un luxe inouï éblouissent les yeux : de tous côtés, des vases d’un travail étonnant et d’une valeur sans égale, pour montrer, non-seulement la magnificence d’Hérode, mais aussi son opulence, pour rassasier la vue de ses amis et de ses clients par la beauté et la diversité des ornements, en même temps que des mets recherchés satisferont leur appétit ainsi se réalisera le véritable idéal d’un festin, puisque, d’une part, la table ne laissera rien désirer à l’estomac, et que, de l’autre, des prodiges de luxe ne laisseront rien désirer aux yeux. Les invités arrivent donc plus tôt que d’habitude, ils se pressent sous les portiques ; ce ne sont que des cris de joie, carie diable aiguise leur appétit, et il a soif du sang humain. Tout le monde s’assied, on étend les riches tapis de pourpre sur les lits brodés, les ministres se hâtent d’apporter les mets, les tables en sont chargées, et bien que rien ne manque dans cette profusion, le pauvre Hérode trouve encore ce festin incomplet ; car sa cruauté n’a point là de quoi manger, ou, plutôt, de quoi dévorer.
3. Placé au premier rang, sur un lit élevé, le roi y est étendu ; car il a mangé longuement dans ce repas funeste, et ses coudes fatigués ne peuvent plus le soutenir : il s’est à tel point rempli de boissons, que, s’il voulait se lever, ni son esprit ni ses jambes ne pourraient le soutenir. Voyez-les tous à table : ils sont complètement ivres ; dans leurs veines coule, non pas du sang, mais du vin : leur sens est abêti ; de leurs yeux tombent des larmes de vin, et leur regard n’a plus rien de fixe. Pour croire encore à l’honnêteté des convives d’Hérode, il ne faudrait pas les regarder, car celui-ci vomit sur la table royale ; celui-là remplit la salle de morceaux de viande aigris par le vin ; d’autres ne se possèdent plus, et, incapables de veiller même à leur conservation, ils gisent par terre, ensevelis dans le sommeil et l’ivresse. Entre plusieurs pourrait s’engager une lutte, pour obtenir, non pas le prix de vertu, mais celui d’ivrognerie : dans ce combat d’un nouveau genre, l’un arroserait son ami, et l’autre noierait ses amis de table comme sous la lave d’un volcan. Que la taverne d’un cabaretier devienne le théâtre d’une pareille lutte, j’y