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en effet ; puisqu’on marche, et qu’on marche dans la voie, on va quelque part, on s’efforce de parvenir à un but quelconque. Où donc l’Apôtre essayait-il d’arriver ? Il n’avait pas encore atteint le but ; il exhorte les parfaits à reconnaître leur imperfection, car la perfection du voyageur consiste à savoir le chemin qu’il a déjà parcouru et celui qui lui reste à parcourir encore. Sachons-le donc ; si parfaits que nous soyons, nous ne sommes pas encore arrivés à la perfection ; cette pensée nous empêchera de demeurer imparfaits.
5. Que dire, mes frères ? le martyr Quadrat est parfait, car y a-t-il rien de plus parfait que le carré ? Tous ses côtés sont égaux, il se ressemble sur toutes ses faces ; n’importe comment vous le tourniez, il pose solidement et ne tombe pas. O nom vraiment beau ! il indique une figure de géométrie et présage un événement à venir ! Quadrat s’appelait ainsi de prime abord, c’est-à-dire avant d’être couronné, avant de subir l’épreuve de la tentation qui devait faire de lui un carré ; dès lors que, préalablement à ce qui devait avoir lieu plus tard, il portait ce nom-là, c’était le signe qu’il avait été prédestiné dès avant la constitution du monde ; il a souffert pour que se vérifiât en lui l’annonce faite par son nom ; et pourtant il marchait encore, et néanmoins il se trouvait toujours à suivre la voie, et tant qu’il était encore en ce monde, il y avait à craindre pour lui, ou de rester à la même place, ou de retourner en arrière, ou de quitter le bon chemin. Il a maintenant parcouru sa carrière, il a fourni sa course, il est solidement assis, il a été employé par l’architecte de l’arche du Seigneur, figure de la Jérusalem céleste, à la construction de laquelle ne devaient servir que des bois équarris. Maintenant, il n’a plus aucune épreuve à redouter ; il a entendu la voix du Très-Haut ; il l’a entendue, et s’est rendu à son appel ; il a suivi son Sauveur, et il porte le Dieu qui habite la sainte cité ; il a méprisé les caresses du monde, triomphé de ses menaces, échappé à ses fureurs. Qu’elle est grande, mes frères, la gloire des martyrs ! elle prime dans l’Église ; quelles qu’elles soient, toutes les autres ne viennent qu’après elle, car ce n’est pas sans raison qu’il a été dit à quelques-uns « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’à répandre votre sang[1] ». Quand on est capable de supporter et d’endurer les persécutions du monde, ne peut-on pas en mépriser les flatteries ?
6. Le même Apôtre a dit : « Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair ; comme vous avez fait servir vos corps à l’impureté et à l’injustice de l’iniquité, ainsi faites-les servir maintenant à la justice pour votre sanctification ». Le conseil qu’il semble nous avoir donné par ces paroles, est d’une singulière importance ; que chacun de nous se mesure sur elles ; et, pour cela, qu’on ne se tâte point d’une manière flatteuse ; qu’on se pèse au juste et qu’on se dise la vérité comme on attend que je la dise. Qu’on se dise : J’ai le dessein de placer en public un miroir où chacun soit à même de se regarder. Je ne suis pas ce miroir ; je n’en ai pas le brillant pour refléter les traits de qui se regarde ; je ne parle pas, bien entendu, de ces traits qui se peignent sur le visage, mais de ceux de notre âme ; par mes paroles, je puis les amener à se faire représenter par la glace, mais il m’est impossible de les contempler. Voilà un miroir, je le mets devant vous ; que chacun s’y regarde et s’y compare à l’idéal tracé par l’Apôtre dans le passage que j’ai cité. Recevez-le de la main de Paul « Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair. Comme vous avez fait servir vos corps à l’impureté et à l’injustice de l’iniquité, ainsi faites-les servir maintenant à la justice pour votre sanctification ». Qu’est-ce à dire : « Ainsi ? » C’est une comparaison. Quand, de tes membres, tu faisais au péché des armes d’iniquité pour la corruption, te plaisait-elle ? Je te le demande, fais-y attention, réponds-moi. La corruption te plaisait-elle ? Ton silence me tient lieu de réponse ; si l’impudicité ne t’offrait pas d’agréments, jamais tu ne t’y abandonnerais. Donc, « comme vous avez fait servir vos corps à l’impureté et à l’injustice de l’iniquité ». Tu as trouvé du plaisir à agir ainsi ; que la justice t’offre enfin des attraits pareils ! N’agis point sous l’impression de la crainte, je ne le veux pas, te dit Dieu ; la crainte était-elle le mobile de ta mauvaise conduite ? « Comme, ainsi ». Comme vous avez fait servir vos corps à l’impureté « et à l’injustice de l’iniquité, ainsi faites-les servir maintenant à la justice pour votre [2]

  1. Heb. 12, 4
  2. Rom. 6, 19