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par Salomon : « O pauvre, ne cherche point à atteindre jusqu’au riche[1] ». Puisque tu ne peux arriver jusqu’à lui, arrête-toi dans les limites de ta faiblesse naturelle. Que dire après de si hauts faits ? Quelles paroles employer après de tels actes ? Quand raconterai-je ces merveilles ? Comment parviendrai-je à en finir ? Enfin, pourquoi répéter ce que vous avez naguère entendu ? Il est bon, néanmoins, de vous présenter à nouveau une image de ce spectacle grandiose ; par là, votre admiration se soutiendra, et le courage du martyr ne tombera pas en oubli. En effet, « le chemin qui conduit à la vie est étroit ; il y en a beaucoup pour entendre parler de lui, mais il y en a bien peu pour le suivre[2] ». Au chrétien qui va souffrir, on ne propose rien autre chose que les exemples de courage donnés parles martyrs. Puissent les exemples des saints nous servir de leçon ! Puissions-nous au moins imiter la foi de ceux que nous ne pouvons suivre dans la voie des souffrances !
2. Le tyran ne s’est point borné à menacer le martyr, comme l’eût fait un ennemi : il a encore employé la flatterie vis-à-vis de lui, comme s’il l’aimait ; nous avons, en effet, remarqué dans la même personne, en Dacien, le persécuteur et l’endormeur ; car n’a-t-il pas cherché à inspirer l’épouvante ? N’a-t-il pas aussi fait des promesses ? D’abord il a voulu, parla terreur, éteindre dans l’âme de Vincent le flambeau de la foi ; puis, dans le même but, il l’a caressé, puis il en est revenu aux tourments, pour quitter bientôt les moyens violents, et mettre encore une fois en œuvre ceux de la persuasion, changeant ainsi de rôle, comme un personnage de théâtre comique. Dans l’un, diversité de figures, dans l’autre, inébranlable solidité de sentiments. Celui-ci se trouvait suspendu, celui-là était assis ; Vincent subissait la peine du martyre, Dacien l’infligeait ; mais le tyran se fatiguait, et le supplicié remportait la victoire. Ce lion rugissant, ce chien affamé, ce serpent cauteleux, ce loup rusé, ce renard cousu de malice, à quoi a-t-il réussi ? Il a longtemps sué à la besogne ; néanmoins, Vincent l’a vaincu. Enfin, le martyr endure des tourments qui exercent sa patience ; on le frappe, et il n’en devient que plus solide ; il s’instruit à l’école de la flagellation il se purifie au milieu des flammes, et toujours il domine son bourreau. Dacien le combat pendant qu’il respire encore, et l’insulte même quand il a succombé, et dans la personne d’un mort il trouve sa propre condamnation.
3. Le tyran s’irrite et fait cet aveu : Je ne puis venir à bout même d’un mort. De quel mort ? C’est, sans aucun doute, de Vincent. Tu lui as enlevé la vie de ce monde, mais, après sa mort, as-tu pu le priver de la gloire éternelle ? Si tu as dompté son corps, as-tu été capable de te rendre maître de son esprit ? Au surplus, as-tu seulement triomphé de son corps ? Non, peut-être ; car ce corps, jeté à la mer partes ordres, se retrouvait sur le rivage avant même qu’on t’apprît sa submersion : « Il est donc inutile à toi de regimber contre l’aiguillon[3] ». Vincent n’a pas lutté contre un homme ; en ta personne il a vaincu le diable, et toi, tu n’as pu l’emporter en lui sur le Christ. Il a compris qu’il devait vaincre en toi, et à toi n’est pas venue l’idée de celui qui devait triompher en lui. Quelle comparaison humaine ajouter ? A quoi bon unir la chair au sang ? « Toute chair n’est que de l’herbe, et toute la beauté de la chair ressemble à la fleur des champs » ; en toi, « l’herbe a séché et la fleur est tombée, mais la parole du Seigneur est éternellement demeurée » en Vincent[4]. Tu te tenais solidement assis, et lui, dépouillé de ses vêtements, se trouvait debout en ta présence. Tu le jugeais, il subissait ton jugement ; tu ne triomphais pas de lui, et il triomphait de toi. Établis une comparaison entre vous deux. Descendu de ton tribunal, où es-tu maintenant ? Sorti de son épreuve, où est-il ? Dis-le-moi, si tu en as l’idée ; ou si, à défaut de l’idée, tu en as le sentiment ; et si tu n’en as pas même le soupçon, écoute-moi. Tu as quitté ton siège pour descendre dans la tombe ; eh bien ! où es-tu aujourd’hui ? Je n’en sais rien. En effet, si tu es resté tel que tu étais alors, tu es perdu pour le ciel, et si tu as changé de dispositions, peut-être es-tu sauvé. Au témoignage de quelques-uns, Dacien serait devenu croyant. Voilà donc ce qu’on dit de lui, ce qu’on en rapporte, ce qu’on affirme à son sujet, c’est qu’il a été jusqu’à se soumettre à la règle de la foi. Ne nous étonnons point de ce que « la grâce ait surabondé là où avait abondé le péché[5] ».

  1. Sir. 4, 32
  2. Mat. 7, 14
  3. Act. 9, 5
  4. Isa. 40, 6-8
  5. Rom. 5, 20