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QUATRE-VINGT-SEPTIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES DE JÉSUS-CHRIST : « CE QUE JE VOUS COMMANDE, C’EST QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES », JUSQU’À CES AUTRES : « MAIS MOI JE VOUS AI CHOISIS DU MONDE ; C’EST POURQUOI LE MONDE VOUS HAIT ». (Chap. 15,17-19.)



AMOUR D’AUTRUI.

Si Dieu nous a choisis, c’est afin que nous produisions des fruits de salut, c’est-à-dire, et principalement, afin que nous nous aimions les uns les autres, et même le monde, notre ennemi, non en tant que mauvais, mais en tant que créé par Dieu.


1. Dans la leçon de l’Évangile qui a précédé celle-ci, le Seigneur avait dit : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis, et qui vous ai établis, afin que vous alliez et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure, afin que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne ». Il vous souvient que nous vous avons dit sur ces paroles ce que le Seigneur nous a donné de vous dire. Dans la leçon dont vous venez d’entendre la lecture, il dit : « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres ». Par là, devons-nous comprendre que c’est là notre fruit dont il a dit : « Je vous ai choisis afin que vous alliez, et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure ? » Enfin, il ajoute « Afin que tout ce que vous demanderez au Père, il vous le donne » ; il nous le donnera assurément, si nous nous aimons les uns les autres ; et cet amour mutuel, c’est lui qui nous le donnera, car il nous a choisis alors que nous ne portions point de fruit. Ce n’est pas nous, en effet, qui l’avons choisi, et il nous a établis pour que nous portions du fruit, c’est-à-dire pour que nous nous aimions les uns les autres ; sans lui nous ne pouvons pas plus porter ce fruit que les branches séparées du cep ne peuvent produire de raisin. Notre fruit n’est donc autre que la charité ; l’Apôtre la définit : « Le fruit d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère [1] ». Par elle, nous nous aimons les uns les autres ; par elle nous aimons Dieu. Car nous ne nous aimerions pas les uns les autres d’un véritable amour, si nous n’aimions pas Dieu. Quiconque aime Dieu, aime le prochain comme soi-même ; mais celui qui n’aime pas Dieu ne s’aime pas lui-même. Dans ces deux préceptes de la charité sont renfermés toute la loi et les Prophètes [2]. C’est là notre fruit, c’est celui que Notre-Seigneur nous ordonne de porter, quand il nous dit : « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres ». C’est pourquoi l’apôtre Paul, voulant recommander le fruit de l’Esprit à l’encontre des œuvres de la chair, commence par là : « Le fruit de l’Esprit », dit-il, « c’est la charité ». Il rapporte ensuite les autres vertus dont la charité est la source à laquelle elles se rattachent. « Ce sont la joie, la paix, la longanimité, la douceur, la bonté, la foi, la mansuétude, la continence [3] ». Qui est-ce qui peut se réjouir convenablement, s’il n’aime le bien qui seul peut réjouir ? Où trouver la véritable paix, si ce n’est en celui qu’on aime véritablement ? Est-il possible d’avoir la : longanimité nécessaire pour persévérer dans le bien, si l’on n’aime pas avec ardeur ? Qui sera bienfaisant, s’il n’aime celui qu’il assiste ? Qui est bon, s’il ne le devient en aimant ? Comment avoir la foi qui sauve, si l’on n’a pas celle qui opère par la charité ? Qui est-ce qui est doux d’une manière utile, si la charité ne règle passa douceur ? Et qui peut s’abstenir de ce qui déshonore, sans aimer ce qui honore ? C’est donc avec raison que notre bon Maître nous recommande si souvent la charité, comme la seule vertu qui doive être commandée, puisque sans elle les autres biens ne peuvent servir de rien, et qu’on ne peut l’avoir sans

  1. 1 Tim. 1, 5
  2. Mt. 22, 40
  3. Gal. 5, 22