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nous en sécurité, quand vous êtes en danger et condamnés à mourir ? Nous ne voulons point qu’il y ait gloire pour nous et châtiment pour vous. Sans doute nous sommes en sécurité d’une part, mais d’autre part sa charité nous rend anxieux. Voilà que je vous le répète, et vous savez que vous l’ai dit toujours, que jamais je ne m’en suis tu : « Voici ce que dit le Seigneur : Je ne veux pas la mort de l’impie, mais que l’impie se détourne de sa voie perverse et qu’il vive ». Qu’est-ce que disait l’impie ? Le Prophète a cité les paroles des impies et des méchants : « Nos iniquités sont sur nous, nous languissons dans nos péchés, comment pouvons-nous vivre ? » Le malade désespère, mais le médecin promet l’espérance. L’homme s’est dit : « Comment puis-je vivre ?[1] » Or Dieu dit : Tu peux vivre. « Si tout homme est menteur, que a Dieu, qui seul est véridique », efface la parole de l’homme et écrive celle de Dieu. Bannis tout désespoir, tu peux vivre, non à cause de tes fautes passées, mais à cause de tes bonnes œuvres à venir ; c’est effacer le mal, que t’éloigner du mal. Tout le bien ou tout le mal s’efface par le changement. Passer d’une vie pure à une vie désordonnée, c’est effacer la vie pure ; et réciproquement, passer d’une vie mauvaise à une vie pure, c’est effacer la vie désordonnée. Vois donc ce que tu recherches, ce que tu veux recevoir, il y a deux trésors préparés devant toi : tu retrouveras ce que tu auras perdu ; Dieu est un fidèle gardien, qui te rendra le bien que tu auras fait. Il en est d’autres qui ne périssent point par désespoir, qui ne se disent point : « Nos iniquités pèsent sur nous ; nous languissons dans nos péchés, comment pouvons-nous vivre ? » Mais ils se trompent d’autre part. Ils se flattent de la miséricorde de Dieu, au point de ne se corriger jamais ; ils se disent en effet : En dépit des crimes que nous commettons, des iniquités que nous entassons chaque jour, de nos actes luxurieux et de nos forfaits, de notre mépris pour le pauvre et l’indigent ; quand même nous nous élèverions dans notre orgueil, et nous n’aurions dans le cœur aucun repentir de nos fautes, Dieu voudra-t-il perdre une si grande multitude et n’en sauver qu’un si petit nombre ? Il y a donc deux périls en présence, l’un du côté du Prophète que nous avons entendu, et l’autre que l’Apôtre n’a point dissimulé. C’est en effet contre ces hommes qui meurent dans le désespoir, comme des gladiateurs en quelque sorte destinés au glaive, qui se plongent dans toutes les voluptés, qui vivent dans la débauche, qui méprisent leur âme comme condamnée par avance, que le Prophète nous dit tout haut leur langage intérieur : « Nos iniquités sont sur nous, voilà que nous languissons sous le poids de nos péchés, comment pourrons-nous vivre ? » Or, voici que l’Apôtre nous tient d’autre part ce langage ! « Est-ce que la richesse de sa bonté, de sa miséricorde et de sa longue patience sont un objet de mépris pour toi ? » À l’encontre de ceux qui disent : Dieu est bon, Dieu est miséricordieux, il ne perdra point cette grande multitude de pécheurs, pour épargner le petit nombre ; car s’il ne les voulait point, ils ne vivraient pas ; quand ils font de si grands maux, ils vivent néanmoins, et si cela déplaisait à Dieu, il les ferait disparaître de la terre ; ou c’est contre eux que l’Apôtre a dit : « Ignores-tu que Dieu est patient, afin de t’amener à la pénitence ? Et toutefois, parla dureté, par l’impénitence de ton cœur, tu t’amasses un trésor de colère, pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres[2] ». À qui l’Apôtre tient-il ce langage. À ceux qui disent : Dieu est bon, il ne comptera point. Il rendra certainement à chacun selon ses œuvres. Quant à toi, que fais-tu ? Tu amasses quoi ? Un trésor de colère. Ajoute colère sur colère, augmente le trésor ; ce que tu auras amassé te sera rendu, car celui à qui tu prêtes ne connaît point la fraude. Mais si tu jettes en un autre trésor tes bonnes œuvres, qui sont les fruits de la justice, ou de la continence, ou de la virginité, ou de la chasteté conjugale, sois encore étranger à la fraude, à l’homicide et à tout autre crime ; souviens-toi de l’indigent, indigent toi-même ; souviens-toi du pauvre, ô toi qui es pauvre ; quelles que soient tes richesses, tu as néanmoins des lambeaux de chair pour vêtement. Si c’est dans ces pensées et dans ces œuvres que tu as soin de jeter dans le trésor des bonnes œuvres pour le jugement, celui qui ne sait tromper personne et qui rend à chacun selon ses œuvres, te dira enfin : Prends ce que tu as mis, parce qu’il y a surabondance.

  1. Rom. 3, 4
  2. Rom. 2, 2