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VINGT-DEUXIÈME SERMON.
SUR CES PAROLES DU PSAUME 51, v.10 « J’AI ESPÉRÉ DANS LA MISÉRICORDE DE DIEU ».[1]

ANALYSE.—1. Combien doit durer notre espérance.—2. Les espérances humaines traînent en longueur, sont vaines, trompeuses.—3. Quand est-ce que notre espérance est vraie.

1. Il me faut répondre tout d’abord à mon frère, à mon collègue dans l’épiscopat. J’ai avancé, le matin, que la charité n’est pas tranquille, point paresseuse ; mais puisqu’il l’a voulu, nous obéirons et à lui, et à Dieu par lui, et à vous, demandant au Seigneur qu’il mette en vous l’obéissance. Nous venons de chanter : « J’ai espéré dans la miséricorde de Dieu[2] ». Disons un mot de notre espérance. Quand il en sera temps, nous mettrons un terme aux paroles de notre discours, mais l’espérance dont il est question doit durer toujours, et ne point finir avec notre discours lui-même. Que nous parlions et que nous cessions de parler, notre espérance crie incessamment vers le Seigneur. Toutefois l’espérance elle-même (ce que je vais dire paraîtra dur, sans doute, mais ne blessera personne, j’ai la confiance que ma parole bien expliquée sera inoffensive), cette même espérance n’aura point une éternelle durée. Quand la réalité sera venue, il n’y aura plus d’espérance. Elle porte en effet ce nom d’espérance, tant que nous ne possédons pas la réalité, selon cette parole de l’Apôtre : « L’espérance que l’on voit n’est plus une espérance. Comment espérer ce que l’on voit ? Or, si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience[3] ». Si donc l’espérance que l’on voit n’est plus une espérance, puisque nul ne saurait espérer ce qu’il voit, et qu’elle porte ce nom d’espérance parce qu’elle a pour objet ce que nous ne voyons point ; quand cet objet sera devenu visible, alors il n’y aura plus espérance, mais réalité. Ce ne sera point alors une malédiction d’être sans espérance ; tandis que maintenant, vivre sans espérance, c’est pour chacun une malédiction, un opprobre. Malheur à celui qui est sans espérance en cette vie ! Vivre en effet sans espérance est un grand malheur ici-bas, puisque nous ne tenons pas la réalité. Mais en face de la réalité, arrière toute espérance.

2. Toutefois, cette réalité que nous tiendrons alors, quelle est-elle ? Qu’est-ce qui doit succéder à l’espérance ? Nous rencontrons bien des hommes qui nourrissent beaucoup d’espérances terrestres et purement de cette vie. Pour nul homme la vie n’est sans espérance, et cette espérance ne s’éteint qu’à la mort. Pour les enfants, il y a espérance de grandir, de s’instruire, de connaître. L’adolescent a pour espérance le mariage, des enfants. Les parents ont l’espérance de nourrir leurs enfants, de les instruire, de voir grandir ceux qu’ils ont cajolés dans leur enfance. En sorte qu’on pourrait dire que c’est l’espérance qui domine dans la vie humaine, que c’est ce qu’il y a de plus naturel, de plus excusable et de plus vulgaire. Il est en effet bien des espérances vulgaires et très-répréhensibles ; mais bornons-nous à la plus honnête, à la plus naturelle. Chacun ne vient au monde que pour croître, pour s’unir par le mariage, pour avoir des enfants, les instruire, être appelé près de ses enfants. Que cherche-t-il de

  1. Dans le Codex, fol. 74, on lit : « Sermon de saint Augustin, évêque ». Il parle avec beaucoup d’éclat de l’espérance humaine et de l’espérance divine. On croit, d’après l’exorde, qu’il le prêcha le soir. On ne sait quel fut cet évêque qui préféra la charité tranquille à la charité inquiète. Possidius, dans son Indiculus Opp, c.8, fait mention d’un sermon sur la charité inquiète, que l’on retrouverait peut-être, si les fureteurs de bibliothèques ne se contentaient point de parcourir les tables ou les titres. Possidius, au même endroit, fait mention de celui-ci.
  2. Psa. 51, 10
  3. Rom. 8, 24-25