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Je le vois qui combat, je l’entends qui triomphe. Tâche-toi, dis-je, et dis-moi : Sois comme lui ! Vois si je ne l’embrasse point ; vois si tel n’est point mon désir ; vois si je n’aspire point à ce bonheur ; vois si je ne puis dire que j’en suis indigne, et, toutefois, je ne puis ni m’en éloigner, ni m’en détourner. Vois, à ton tour ; cherches-y ta joie, aime à ton tour. Ne t’irrite point si je te dis : Sois comme lui ! mais, pour t’épargner, je ne le dis point. Reconnais un ami, et, avec moi, change tes spectacles. Aimons ceux que nous voulons imiter, autant qu’il nous est possible ; mais honte à celui qui se donne en spectacle ; honneur au spectateur. Que l’acheteur cesse d’être cupide, et il n’y aura plus de vente honteuse. Regarder, c’est encourager la honte. Pourquoi provoquer ce que tu es forcé d’accuser ? Je m’étonnerais, si la honte de l’histrion que tu aimes ne rejaillissait pas sur toi. Mais qu’elle n’y rejaillisse point, j’y consens ; que ton honneur soit sans tache, s’il est possible, en regardant la lubricité, en achetant de honteuses jouissances. Oserai-je, alors, proscrire les spectacles ? Oui, oserais-je les proscrire ? Certainement, je l’oserai. Je puise ma confiance dans ce lieu et dans celui qui m’a constitué en ce lieu. Ce saint martyr a bien pu endurer les violences des païens, et moi je n’oserais instruire des chrétiens ? Je redouterais des murmures secrets, quand il a méprisé de manifestes fureurs ? Je parlerai donc, et si je parle à faux, que l’âme de mes auditeurs me contredise. Elle a raison ; oui, elle a mille fois raison, cette mesure antique de Rome, qui a noté d’infamie tous les histrions. On ne leur rend aucun honneur dans le sénat, pas même dans la dernière assemblée du peuple. On les éloigne de toute réunion honnête, on leur préfère l’honnête esclave. Comment donc le plaisir te mettra-t-il au théâtre en présence de ces hommes que ta dignité de décurion bannit de ta présence ? Accorde le plaisir avec la dignité. Et voilà que ces misérables se sont prêtés aux convoitises des spectateurs, convoitises malsaines. Loin de toi ces plaisirs, donne à ces hommes la liberté. C’est avoir pitié d’eux que ne point les regarder.

4. Voilà pour la concupiscence des yeux. Combien de maux dans l’amour du monde ! C’est là qu’est l’orgueil dans sa plénitude. Et quoi de pire que l’orgueil ? Écoute la parole du Seigneur : « Dieu résiste aux orgueilleux et donne sa grâce aux humbles[1] ». Donc, l’amour du monde est coupable à son tour. Mais, dira quelqu’un, les grands du monde n’en sauraient être exempts. Ils le peuvent, sans aucun doute. Un de leurs auteurs, je ne sais lequel, a dit : « Nous rejetons nos fautes sur nos affaires[2] ». Ils le peuvent sans aucun doute. L’homme a le pouvoir de se diriger. Se dresser, pour lui, c’est se diriger. Mais le cœur humain tend toujours à s’élever. Qu’on en réprime la tendance. Qu’il se reconnaisse homme, celui qui veut juger d’un autre homme. La dignité peut différer, la fragilité est la même pour tous. Se nourrir de ces saintes et pieuses pensées, c’est avoir la force et ne point chercher à s’élever. Telle est la victoire qu’a remportée Cyprien. Que n’a-t-il pas dû vaincre, lui qui a méprisé cette vie pleine de tentations ? Le juge le menace de la mort, et il confesse le Christ ; il est prêt à mourir pour le Christ. Dès que la mort sera venue, il n’y aura plus ni ambition, ni curiosité des yeux, ni convoitise des voluptés charnelles et honteuses. Le mépris seul de la vie nous fait tout surmonter.

5. Béni soit donc dans le Seigneur le bienheureux Cyprien, qui a triomphé de tous ces obstacles. Comment l’eût-il pu, sans le secours du Seigneur ? Comment vaincre, si le divin spectateur qui préparait une couronne au vainqueur n’eût aussi donné des forces à l’athlète ? Lui-même tressaille d’une sainte joie, il tressaille pour nous et non pour lui, quand on le bénit dans le Seigneur ; car il est véritablement doux, et il est écrit : « Mon âme sera bénie dans le Seigneur ; que les cœurs doux entendent et partagent ma joie[3] ». Il était doux, et il veut que son âme soit louée dans le Seigneur. Oui, que son âme soit bénie dans le Seigneur. Qu’il y ait aussi des honneurs pour son corps, car « précieuse est devant Dieu la mort de ses saints[4] ». Qu’on le chante saintement, comme il convient à des chrétiens. Car nous n’élevons pas à Cyprien des autels comme au Seigneur, mais nous faisons de Cyprien un autel au vrai Dieu[5].

  1. Jac. 4, 8
  2. Serait-ce Sénèque, epist. 50 ad Lucil. : Ut intelligas tua vitia esse, quœ putas rerum ?
  3. Psa. 31, 3
  4. Id. 72, 1
  5. On peut comparer la fin du sermon CCCXIII, avec celle du sermon CCCX, n° 2.