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deuxième supplément. — première section.


ferme, afin que vous puissiez être vous-mêmes. Mais quand sommes-nous maîtres de notre pensée fugitive, et quand pouvons-nous la fixer sur ce qui demeure éternellement ? Dieu donc nous a pris en pitié, et celui qui Est, celui qui a dit : « Voici ce que tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous », après nous avoir donné le nom de sa substance, nous a donné le nom de sa miséricorde. Quel est le nom de sa substance ? « Je suis Celui qui suis ». « Tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous ». Mais Moïse était homme, il faisait partie de tout ce qui n’est pas en comparaison de Dieu. Il était sur la terre, il était dans une chair, son âme était dans cette chair, sa nature était changeante et ployait sous le fardeau de l’humaine fragilité. Car cette parole : « Je suis Celui qui suis », comment la saisissait-il ? C’est en effet par ce qui est vu des yeux, qu’il parlait à celui qu’on ne saurait voir, et Dieu, qui est caché, se servait de ce qui est visible comme d’un instrument. Car tout ce que voyait Moïse n’était pas Dieu tout entier, de même qu’en moi qui suis homme, le son qui bruit n’est pas toute ma parole. Car j’ai dans l’esprit une parole qui ne résonne point. Le son passe, la parole demeure. Donc, lorsque Dieu, qui est invisible, s’adressait à l’homme et se rendait visible par la forme qu’il daigna prendre, quand l’éternel parlait des choses du temps, l’immuable des choses fragiles ; quand il disait : « Je suis Celui qui suis », et encore : « Tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous » ; comme si Moïse ne pouvait comprendre cette parole : « Je suis Celui qui suis » ; et : « Celui qui m’a envoyé vers vous[1] », ou bien si Moïse le comprenait, comme si nous autres, qui devions lire, nous ne comprenions pas. Au nom de sa substance, Dieu ajoute le nom de sa miséricorde. C’est comme s’il disait à Moïse : Cette parole : « Je suis Celui qui suis », tu ne la comprends point, ton cœur ne s’y arrête point, tu n’es pas immuable avec moi, ton esprit n’est point sans vicissitudes. Tu as entendu que je suis, écoute ce que tu comprendras, écoute un sujet d’espérance. Et le Seigneur, parlant encore à Moïse, lui dit : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob ». Tu ne saurais comprendre le none de ma substance, comprends le nom de ma miséricorde : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob[2] ». Mais ce que je suis en moi-même est éternel ; Abraham, Isaac et Jacob, sont éternels, il est vrai, ou plutôt, non pas éternels, mais ce que je suis les a faits éternels. Enfin, ce fut par là que le Seigneur confondit les calomnies des Sadducéens, qui niaient la résurrection ; il leur cita ce passage des saintes Écritures : « Lisez ce que le Seigneur, du milieu du buisson, disait à Moïse : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. Or, Dieu n’est point le Dieu des morts, mais des vivants[3] » ; car tous pour lui sont vivants. Aussi le Seigneur, après avoir dit : « Je suis Celui qui suis », n’ajoute pas : « C’est là mon nom pour l’éternité ». Il n’est personne, en effet, pour douter que ce qu’est le Seigneur, il l’est à cause de sols éternité. Mais quand il a dit : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob », il ajoute : « C’est là mon nom pour l’éternité ». Comme s’il disait : À quoi bon craindre la mort dans le genre humain ? Pourquoi redouter de n’être plus, quand tu seras mort ? « C’est là mon nom pour l’éternité ». Je ne pourrais m’appeler éternellement « le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob[4] », si Abraham, Isaac et Jacob ne vivaient éternellement. Tournons-nous vers le Seigneur, etc.[5].

  1. Exo. 3, 14
  2. Exo. 3, 6
  3. Mat. 22, 32 ; Mrc. 12, 26-27
  4. Exo. 3, 15
  5. Qu’il nous suffise d’indiquer cette formule familière à saint Augustin, et que nous trouvons à la fin de plusieurs de ses sermons. Voir tom. 6, serm. 1.