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les yeux pour voir. Pleurons alors, et faisons-nous un pain de nos larmes. Mon Dieu est invisible, et tel qui me parle, me demande à le voir, quand il dit : « Où est ton Dieu ? » Pour moi, afin d’arriver à mon Dieu, comme l’a dit le Psalmiste : « J’ai repassé tout cela dans mon cœur, et répandu mon âme au-dessus de moi-même ». Mon Dieu n’est pas au-dessous de mon âme, il lui est bien supérieur. Comment pourrai-je atteindre à ce qui est au-dessus de mon âme, sinon en élevant mon âme au-dessus de moi-même ? Pourtant, avec la grâce de mon Dieu, je vais essayer de répondre à cet importun, qui me demande ce qui est visible, me montre ce qui est visible, et ne fait ses délices que de ce qu’il voit. Voici bien ta question : « Où est ton Dieu ? » Je te répondrai : Toi-même, où es-tu ? Telle est ma réponse, dis-je, elle n’est pas hors de propos, du moins que je sache. Tu m’as demandé où est mon Dieu ; à mon tour je demande où est mon interrogateur. Il me dira : Me voici, je suis ici ; je suis sous tes yeux, je te parle. Et moi de lui répondre : Je cherche celui qui m’interroge. Je vois sa face, il est vrai, je vois son corps, J’entends sa voix, je vois même sa langue. Mais je cherche ce qui fixe les yeux sur moi, ce qui fait mouvoir sa langue, ce qui émet la voix, ce qui interroge par désir de savoir. Tout cela, dont je parle, c’est l’âme. Je ne prolonge donc point ma discussion avec toi ; tu me dis : Montre-moi ton Dieu. Je dis à mon tour : Montre-moi ton âme. C’est t’embarrasser, te fatiguer, t’arrêter court, que te dire : Montre-moi ton âme. Je sais bien que tu ne saurais. D’où vient cette impuissance ? De ce que ton âme est invisible. Et, toutefois, elle est en toi bien supérieure à ton corps. Mais mon Dieu est bien supérieur à ton âme. Comment donc te montrerais-je mon Dieu, puisque tu ne saurais montrer ton âme, que je te montre bien inférieure à mon Dieu ? Que si tu viens à me dire : Connais mon âne à ses œuvres ; et dès lors que je fixe les yeux pour voir, que je dresse l’oreille pour entendre, que ma langue se meut pour parler, que ma voix produit un son, cela te doit faire connaître et comprendre mon âme. Tu le vois, tu ne saurais montrer ton esprit, mais tu veux que je le reconnaisse à ses œuvres. Sans poursuivre plus loin, sans renvoyer ton infidélité à ce que tu ne comprends point ; sans même te résumer ainsi les œuvres de Dieu : Il a fait les choses invisibles et les choses visibles ; c’est-à-dire le ciel et la terre ; sans chercher tant de raisons, j’en reviens à toi. Tu as la vie assurément, tu as un corps, tu as une âme ; un corps visible, une âme invisible ; un corps qui est l’habitation, un esprit qui l’habite ; un corps qui est un véhicule, l’âme qui se sert de ce véhicule ; un corps que l’on dirige comme tout véhicule, et une âme chargée en quelque sorte de diriger le corps. Voilà les sens en évidence ; ils sont dans ton corps, comme des portes au moyen desquelles on annonce quelque chose à ton esprit qui l’habite intérieurement. Voilà tes yeux, tes oreilles, ton odorat, ton goût, ton toucher, tes membres mis en ordre. Qu’est-ce donc qui, intérieurement, te fait penser, et vivifie tout cela ? Tout cela que tu admires en toi, celui qui l’a fait, c’est mon Dieu.

5. Donc, mes frères, si j’ai pénétré jusqu’à vos intelligences, jusqu’à vos esprits qui sont intérieurs, au moyen d’un langage aussi approprié que j’ai pu, si ma parole est arrivée à celle qui habite ces maisons de boue, c’est-à-dire à l’âme dont vos corps sont la demeure, gardez-vous de juger des choses divines par celles que vous connaissez. Dieu est bien supérieur à tout, au ciel et à la terre. N’allez pas vous figurer un ouvrier composant quelque grand ouvrage, le disposant, procédant par combinaisons, le tournant et le retournant, ni un empereur assis sur un trône royal, orné, resplendissant, et créant par les ordres qu’il donne. Brisez ces idoles dans vos cœurs. Écoutez ce qui fut dit à Moïse quand il cherchait Dieu : « Je suis Celui qui suis ». Cherche quelque autre chose qui soit. En comparaison de Dieu, il n’y a rien qui soit. Ce qui Est véritablement, ne change en aucune partie. Ce qui est mobile et changeant, ce qui en aucun temps ne cesse de changer, a été, et sera. On ne saurait dire de cela, qu’il Est. Mais en Dieu il n’y a pas été, non plus que, il sera. Ce qui a été n’est plus, ce qui sera n’est point encore. Et ce qui ne vient que pour passer, dès lors qu’il sera, n’est pas encore. Méditez, si vous le pouvez, cette grande parole : « Je suis Celui qui suis[1] ». Ne vous laissez point entraîner par vos caprices, ni par le flux de vos pensées terrestres ; arrêtez-vous à ce qui Est, oui, à ce qui Est. Où courez-vous ? Tenez

  1. Exo. 3, 14