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et sa couronne, tandis que les autres sont flétris du nom d’insensés ; il court avec ceux qui courent la bonne voie, tandis qu’il enchaîne et retient ceux qui se précipitent dans la voie du mal ; il sépare celui-ci de l’Église et y reçoit les autres et les confirme dans la charité ; il pleure sur les uns, il se réjouit sur les autres ; tantôt sa doctrine est simple comme le lait pour les enfants, tantôt elle se plonge dans la profondeur des mystères ; tantôt il s’abaisse et se rapetisse avec les simples, tantôt il élève et exalte les humbles ; tantôt il fait preuve d’un grand esprit de mansuétude, tantôt il lève la verge de la puissance apostolique contre les orgueilleux et les arrogants ; tantôt il s’enflamme à l’égard des rebelles, tantôt, à l’égard des disciples soumis, il est bon « comme la nourrice qui réchauffe ses petits ». Tantôt il se dit le dernier des Apôtres, tantôt il affirme son autorité en s’appu.yant sur Jésus-Christ, qui parle dans sa personne ; tantôt il demande à mourir et à être avec Jésus-Christ, tantôt il prouve qu’il lui est nécessaire de demeurer dans la chair à cause de ceux qui ont besoin de son secours. Car « il ne cherche pas son avantage personnel, mais l’avantage des enfants qu’il a engendrés en Jésus-Christ » par l’Évangile. Cette conduite doit être spécialement méditée par les supérieurs spirituels, dont l’abnégation doit leur faire négliger et mépriser leur intérêt personnel toutes les fois que le bien spirituel des peuples le réclame.
4. L’apôtre saint Paul se glorifie, mais dans ses infirmités et ses tribulations, et la mortification de Jésus-Christ lui paraît le plus bel ornement. Il s’élève au-dessus de tout ce qui est charnel ; les choses spirituelles forment tout son bonheur et toute sa gloire ; la science ne lui est pas étrangère, et cependant il déclare ne voir qu’à travers un miroir et en énigme. Il se confie à l’esprit, et cependant il afflige son corps qu’il traite comme un adversaire clandestin qu’il faut détruire. Quelle leçon, quel enseignement ne ressort pas de cette conduite ? L’Apôtre pouvait-il nous montrer plus clairement l’obligation de ne pas mettre notre confiance dans les choses de la terre, de ne pas nous enorgueillir de notre science et de ne pas laisser la chair se révolter contre l’esprit ? Saint Paul combat donc pour tous ; il prie pour tous ; le salut de tous le dévore ; le zèle pour la gloire de Dieu l’embrase, et il donnerait son sang et sa vie pour ceux qui sont hors de la loi, comme pour ceux qui sont dans la loi. Établi l’Apôtre des Gentils et le défenseur des Juifs, il plaide en leur faveur au-delà même de ce qui est permis ; c’est-à-dire, si j’ose parler ainsi, il va au-delà du commandement de Dieu, car il aime son prochain, non pas autant que lui-même, mais plus que lui-même. Ne demande-t-il pas à être anathème, si cela était nécessaire pour sauver les hommes ? O grandeur d’âme vraiment sublime ! O feu céleste de l’Esprit-Saint ! Paul imite en cela Jésus-Christ qui « s’est fait malédiction pour nous [1] », qui « a porté nos infirmités et accepté nos langueurs[2] ». C’est ainsi que, poussant le dévouement au-delà de ses limites, l’Apôtre accepterait d’être anathématisé par Jésus-Christ, pourvu que les hommes fussent sauvés. Que dirai-je encore ? Il vit, non pas pour lui, mais pour Jésus-Christ et pour la prédication de la parole. Il proclame que le monde est crucifié pour lui et qu’il est crucifié pour le monde ; tout lui paraît vil et méprisable, tant est vif son désir de s’unir à Jésus-Christ. Depuis Jérusalem jusqu’à l’Illyrie il a semé l’Évangile dans toutes les contrées ; il a été ravi jusqu’au troisième ciel ; il a été transporté au ciel et y a entendu des paroles qu’il n’est pas permis à l’homme de redire ; et pourtant, malgré toutes ces faveurs, « il ne se glorifie que dans ses infirmités ». Tel est saint Paul, et tels sont aussi tous les hommes spirituels comme lui, si toutefois il en est sur la terre.

  1. Gal. 3, 13
  2. Isa. 53, 4