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dont son maître l’entoure est sincère, parce qu’elle est fondée sur la fidélité de son esclave ; au contraire, c’est la passion qui inspire la maîtresse. Le maître trouvait son bonheur dans les preuves de fidélité que lui donnait son serviteur, tandis que les charmes corporels de ce même serviteur faisaient le tourment de la maîtresse. Or, cette beauté du jeune homme ne faisait que s’accroître avec le temps, et plus elle croissait, plus s’enflammait la passion de l’Égyptienne. Bientôt elle se trouve impuissante à éteindre ces flammes qui la dévorent et qui trouvent dans la beauté du jeune homme un aliment de plus en plus abondant ; inspirée d’ailleurs par le démon, elle rêve au moyen de surprendre l’innocence dans l’isolement et le silence. Et d’abord elle se revêt de ses plus beaux atours, croyant bien que par là elle ébranlerait facilement ce jeune homme. Elle jette sur ses vêtements des parfums précieux et se couvre d’aromates perfides, afin que l’objet de sa convoitise, fût-il de fer, se trouvât enivré par l’odeur des parfums avant même d’avoir subi le charme des yeux. Contemplons, mes frères, l’énergie de cet athlète, sa lutte héroïque et sa glorieuse victoire. Il avait d’abord pour ennemi sa propre jeunesse et la concupiscence déposée dans notre chair ; au-dehors, il était attaqué par une femme qui lui promettait tous lesbiens, afin de trouver accès près de lui et de satisfaire sa honteuse passion. Ainsi munie de tous ces moyens de séduction, et pour mieux s’assurer la victoire, elle se rend elle-même dans la chambre de Joseph, ferme la porte et le surprend ainsi dans la solitude la plus complète. Elle est en proie à la volupté la plus furieuse, un long combat s’engage et jette dans une anxieuse attente les anges du ciel et les démons de l’enfer ; ceux-ci prenant parti pour le vice, ceux-là pour la vertu, et tous impatients devoir de quel côté restera la victoire. Les anges affermissaient le courage de Joseph, les démons provoquaient l’Égyptienne ; les anges protégeaient le jeune homme, les démons irritaient les flammes de l’impudique. Plus les démons alimentaient le feu perfide dans l’âme de l’Égyptienne, plus le Christ fournissait des armes à son généreux athlète. D’ailleurs, toutes les séductions réunies devaient rester impuissantes : la vertu de Joseph était fondée sur la pierre ; une telle base la rendait inébranlable. Toutefois, se trouvant face à face avec le jeune homme et dans l’isolement le plus complet, cette femme impudique essaye de l’émouvoir par ses paroles, employant tour à tour les plus terribles menaces et les plus séduisantes caresses. Je suis votre maîtresse, lui disait-elle, et par une grande somme d’argent je vous ai acheté comme esclave ; si vous rejetez mes désirs, vous n’avez plus à attendre que les chaînes, la prison et un horrible trépas ; mais si vous consentez, vous serez comblé des plus grands honneurs, et tout ce que je possède est à vous. Peut-être craignez-vous les domestiques, ou mon époux ; rassurez-vous, ne craignez rien ; personne ne nous voit, personne ne saura. Mon mari ne sait pas ce qui se passe dans mon cœur. Il ignorera tout ; seulement ne tardez pas à satisfaire mes désirs, et cette satisfaction restera pour jamais et pour tous un secret. Ne résistez plus et rendez-moi heureuse. Comblez mes vœux, et désormais tout vous appartient.
4. Joseph répondit : O malheureuse femme, serpent cruel, véritable vipère, pourquoi tenter de me séduire par vos flatteries et d’arracher de mon âme la foi qui la possède ? Que dites-vous ? Que désirez-vous ? A quoi m’exhortez-vous ? Pourquoi vous fatiguer à de semblables séductions ? Vous portez le nom de reine, et vous pouvez vous complaire à vous unir à un esclave ? Si c’est un esclave que vous avez acheté, faites-lui sentir votre – domination ; si vous le couvrez de votre affection, traitez-le comme s’il était votre fils ; honorez-le d’un amour chaste et pudique, et, du vivant de votre époux, ne vous précipitez pas dans le crime. Il est vrai, je n’ai jamais été esclave, car je suis d’une noble famille, le descendant d’Abraham et d’Isaac, qui parlaient avec Dieu dans la plus grande intimité. J’ai pour père Jacob, qui a lutté avec l’ange du Seigneur. Si j’ai été vendu, c’est par la jalousie de mes frères ; mes frères m’ont dépouillé de tout, mais il me reste l’invincible liberté de l’âme ; extérieurement je ne suis plus qu’un esclave, mais dans mon cœur je suis et resterai libre. Vous m’avez acheté, et j’avoue sans hésiter que je vous appartiens ; j’obéis à vos ordres, j’accomplis ce que vous me commandez ; mais ce que vous désirez de moi en ce moment, je m’y refuse. Prescrivez-moi les obligations les plus dures, et je les accomplirai. Usez de votre puissance, le secours