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et bénit Dieu dans cette sobriété, tandis que l’autre s’enivre, tombe dans le précipice et souvent même se donne la mort, ce qui est bien plus grave encore. Les aliments que Dieu nous a donnés pour nous nourrir, ne sont pas mauvais, mais bons ; et cependant, si nous les prenons en trop grande quantité, ils deviennent pernicieux et nuisibles. Dirons-nous donc que la créature de Dieu est mauvaise, parce qu’elle devient nuisible à quelques-uns ? Il est naturel qu’elle nuise à ceux qui, au détriment de leur santé, la prennent en plus grande quantité que ne peuvent le supporter les organes dont Dieu nous a doués. Je puis en donner des preuves que tout le monde connaît. On a vu des hommes mourir étouffés par la grande quantité de vin ou de nourriture qu’ils avaient prise. La mort était-elle cachée dans le vin ou dans la nourriture ? Non certes ; mais c’est l’intempérance qui leur a causé la mort. Parce qu’un brigand emploie le fer pour commettre un homicide, il ne s’ensuit nullement que le fer soit mauvais par lui-même ; ce qui est mauvais, c’est l’homme qui trouve dans le fer un moyen de commettre l’homicide. De même l’arbre du paradis terrestre était bon, et non pas mauvais ; mais ce qu’il y eut de mauvais, c’est que le premier homme se soit servi de cet arbre pour transgresser le précepte du Seigneur. Tout ce que Dieu a daigné remettre à l’homme pour son usage est certainement bon. J’en trouve la preuve jusque dans le Nouveau Testament. En effet, nous lisons dans les Actes des Apôtres que saint Pierre s’endormit et que, pendant son sommeil, il vit le ciel ouvert et comme une grande nappe formant une espèce de vase d’une blancheur éclatante, qui descendait du ciel sur la terre et où étaient toutes espèces de quadrupèdes, de reptiles et d’oiseaux du ciel. Et une voix dit à Pierre : « Lève-toi, tue et mange ». Et Pierre répondit : « Non, Seigneur, car je n’ai jamais mangé rien d’impur et de souillé ». Et de nouveau la voix lui dit : « N’appelle point impur ce que Dieu a purifié[1] ». Calomniateur, dites-moi, qu’en pensez-vous ? Suffit-il de dire que toutes ces choses sont bonnes, puisque nous venons d’apprendre de la bouche même de Dieu qu’elles ont été sanctifiées ?
6. Donc, l’arbre du paradis était bon et l’on ne pouvait trouver en lui quoi que ce soit de mauvais ; de son côté, l’homme eut le triste pouvoir de se rendre lui-même mauvais et de faire un mauvais usage d’un bien que Dieu avait créé. Si vous doutiez encore que la volonté de l’homme fût devenue mauvaise, n’oubliez pas qu’elle en vint à regarder comme insuffisante pour elle toute l’abondance du paradis terrestre. Et parce qu’elle porte la main sur le fruit défendu, elle encourt aussitôt la mort de l’âme. Si Dieu ne lui avait abandonné qu’un seul arbre et lui avait interdit tous les autres arbres du paradis, malgré tout, l’homme aurait dû se contenter de ce qui lui était accordé. Dieu avait été beaucoup plus généreux, et cependant l’homme ne se montra pas satisfait de ce qu’il avait reçu, et, dût-il perdre honteusement ce qu’il possédait, il se précipita en aveugle dans la prévarication et dans la mort. A qui donc faut-il imputer le péché d’Adam ? Est-ce à Dieu qui a averti, ou à l’homme qui a refusé de profiter de l’avertissement ? Est-ce au médecin, quia donné ses ordres au malade, ou au malade qui, malgré l’ordonnance du médecin, a goûté du fruit défendu, et s’est jeté dans la désobéissance ? Il est du devoir des médecins, à l’égard de ceux qu’ils voient gravement malades, de leur interdire toute nourriture contraire à leur santé, afin de les soustraire ou au danger ou à la mort. Supposé que les malades, contrairement aux prescriptions du médecin, prennent de la nourriture par intempérance et soient ainsi la cause de leur mort ; la responsabilité peut-elle peser sur le médecin qui, prévoyant le danger, a défendu de s’y exposer ? Dieu est le médecin de nos âmes, et on ne saurait lui imputer la chute d’Adam, puisqu’en le prévenant à l’avance il a prouvé qu’il désirait le voir vivre éternellement.
7. Il reste beaucoup à dire sur ces sortes de questions, mais l’heure est passée et je craindrais que la longueur du discours ne fatiguât les auditeurs. Je me reconnais donc votre débiteur, et je vous prie de m’accorder un délai ; mais je crains fort qu’en se présentant pour payer, le débiteur ne trouve les créanciers brillant par leur absence.

  1. Act. 5, 11-15