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châtiment. Le Seigneur avait dit : « Si vous mangez du fruit de cet arbre, vous mourrez de mort » ; le démon leur dit, au contraire : « Vous ne mourrez pas de mort ». L’homme se trouva entre Dieu son créateur, et le démon fourbe et trompeur. Dieu menace de la mort, si l’homme touche au fruit de l’arbre ; le démon promet à nos premiers parents de devenir comme des dieux, s’ils mangent le fruit défendu. C’est ainsi que ce arbre a été profané ; ce qui charma, ce fut la douceur empoisonnée de la mort, et la promesse d’une vie perpétuelle ne fut accueillie que par le mépris.
3. Mais, s’écrie tel calomniateur, ne voyez-vous pas que la mort a été créée dans cet arbre ? Répondons à cette vaine question. Certainement la mort n’a pas été créée dans cet arbre ; elle n’a d’autre cause ou d’autre principe que l’homme lui-même. La loi imposée à l’homme fut pour lui une épreuve, et non pas une ruse de la part de son Sauveur. En effet, si Dieu n’avait pas aimé l’homme, s’il eût voulu le faire mourir, il ne l’eût pas créé, ou, après l’avoir créé, il ne l’eût pas prévenu du danger qui le menaçait. Si Dieu n’eût pas prévenu l’homme, il eût montré, non pas de la miséricorde, mais de la cruauté ; non pas de la justice, mais de l’injustice ; car, après avoir créé l’homme par miséricorde, il l’eût fait tomber injustement. Si l’homme lui-même n’est pas capable d’une telle impiété, comment la supposer en Dieu qui est la source de la miséricorde et de la bonté ? Quel homme, mes frères, ferait lui-même périr son couvre, détruirait son ouvrage ou précipiterait dans le gouffre de la mort le fils qu’il a engendré ? Si une telle cruauté n’est pas possible à l’homme, comment la supposer en Dieu qui a entouré de tant de soins son œuvre, c’est-à-dire l’homme, et lui a prêté, contre une chute imminente, l’appui tout-puissant d’une loi claire et formelle ? Pourtant il ne put se tenir debout ; pourquoi donc, sinon parce qu’il n’a pas voulu entendre ? Que pouvons-nous donc reprocher à Dieu, puisque, si Adam est tombé, c’est uniquement parce qu’il a méprisé le précepte de Dieu ?
4. Dites-moi donc : Cet arbre était-il bon cru mauvais ? vous appellerez, sans doute, mauvais un arbre dont l’homme n’a pu manger le fruit sans s’incorporer la mort ? Est-ce donc l’arbre qui était mauvais, ou bien la transgression du précepte ? Certainement, c’était l’arbre ; car si l’arbre n’eût pas été mauvais, aurait-il pu communiquer la mort à l’homme ? C’est ainsi que vous raisonnez, sans tenir aucun compte de la vertu des Écritures ; car, comme il est écrit que dans cet arbre était la connaissance du bien et du mal ; de même il est écrit : « Dieu considéra ses œuvres, et il vit qu’elles étaient très bonnes[1] ». Vous croyez ce qui vous induit en erreur, et vous ne croyez pas ce qui pourrait vous guérir. Vous qui calomniez, voulez-vous vous convaincre que cet arbre était bon, et non pas mauvais, que Dieu n’y avait pas déposé la mort, mais que c’est l’homme qui s’est créé la mort pour lui-même ? Répondez à ces questions : Le fer est-il bon ou mauvais ? Vous direz sans doute qu’il est mauvais. Pourquoi est-il mauvais, et non pas bon, quand toutes les choses créées par Dieu sont très-bonnes ? D’un autre côté, comment regarder comme bon ce fer par lequel tant d’hommes trouvent la mort ? Écoutez donc : ce n’est pas le fer qui est mauvais, mais l’homme qui s’en sert pour tuer injustement son semblable. Voulez-vous savoir pourquoi le fer est bon ? Ne voyez-vous pas que si les uns s’en servent pour commettre l’homicide, les autres s’en servent pour féconder la vigne en la taillant ? Les uns se nourrissent par le fer, et les autres immolent les innocents également par le fer ; l’un se sert du fer pour cultiver son champ, et l’autre pour verser le sang en temps de paix ; l’un pour sustenter sa vie, et l’autre pour l’arracher à son prochain. Le juge ne porte-t-il pas le glaive pour en frapper le coupable et pour absoudre l’innocent ?
5. Hardi calomniateur, écoutez encore, si vous en avez le loisir. Le vin est-il un bien ou un mal ? Je pense que vous répondez que c’est un bien, et non pas un mal, et cela par raison d’équité, et non pas dans l’intérêt de l’ivresse. Le vin est donc un bien et un grand bien. Je vous félicite que du moins, sur un point, vous confessiez que la créature de Dieu est bonne ; je le confesse également. Pourquoi donc le vin est-il pour l’un une occasion de pratiquer la sobriété, et pour l’autre une occasion de s’abandonner à l’ivresse ? Parce que tel homme s’enivre et se couvre de honte, est-ce une raison suffisante pour maudire la créature de Dieu ? L’un boit avec sobriété

  1. Gen. 1, 31