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qui craint son mari et qui en appréhende les reproches, ne commet peut-être pas l’adultère, dans la crainte de voir son crime parvenir à la connaissance de son mari, et lui enlever à elle-même cette vie temporelle ; néanmoins, son époux est capable de se laisser tromper, car il est homme, et de la même nature que la femme qui est capable de le tromper. Elle craint son mari, aux regards duquel elle peut ne pas se trouver exposée, et toi, tu ne crains pas toujours la présence de l’époux de ton âme qui veille sans cesse sur toi ? « Les yeux du Seigneur sont ouverts sur ceux qui font le mal[1] ». L’absence de son mari comble les désirs de cette femme ; elle serait peut-être heureuse d’en profiter pour commettre l’adultère, et pourtant elle se dit : Je ne le commettrai pas : sans doute, mon mari est absent, mais il est presque impossible qu’il ne parvienne point, de manière ou d’autre, à connaître ma faute. Elle se retient donc, dans la crainte que celui-ci ne découvre son inconduite, quoique à la rigueur il puisse l’ignorer toujours, quoiqu’elle puisse le tromper, quoiqu’il puisse encore la croire vertueuse malgré ses écarts, et chaste en dépit de son adultère ; et toi, tu ne crains pas les regards de celui que personne ne peut induire en erreur ? tu ne crains pas la présence de celui dont tu ne peux t’éloigner ? Prie Dieu de jeter les peux sur toi, et de les détourner de tes fautes. « Détournez votre face de mes péchés ». Mais comment mériteras-tu que le Seigneur détourne ses regards et ne voie pas tes fautes ? C’est en ne détournant pas tes yeux de tes péchés. Car, le Prophète a dit dans un psaume : « Je reconnais mon iniquité, et mon crime est toujours devant moi[2] ». Reconnais tes fautes, et alors Dieu te les pardonnera.


8. Nous avons adressé la parole à l’âme encore remplie de la crainte qui ne demeure pas éternellement, mais que chasse la charité parfaite : parlons maintenant à celle qui nourrit en elle-même une crainte pure, une crainte destinée – à demeurer toujours. Pensons-nous rencontrer une telle âme, à qui nous puissions parler ? A ton avis, s’en trouve-t-il une dans cette assemblée ? dans cette basilique ? sur cette terre ? Il est impossible qu’il n’y en ait pas, mais elle se dérobe à nos regards : c’est l’hiver, et la sève se cache àl'intérieur de la plante, dans la racine même. Peut-être nos paroles vont-elles jusqu’à ses oreilles. Mais n’importe où se trouve cette âme, je voudrais la rencontrer, et alors je la prierais, non pas de prêter l’oreille à mes paroles, mais de me faire entendre sa voix. Elle m’instruirait bien plus qu’elle ne s’instruirait elle-même à mon école. Une âme sainte, enflammée, désireuse du règne de Dieu, ce n’est pas moi qui lui parle, c’est Dieu en personne ; il la console, il l’aide à vivre patiemment sur la terre, en lui parlant ainsi Tu veux que je vienne, et je sais que telle est ta volonté ; je sais qui tu es ; tu peux attendre en toute sécurité mon avènement ; tu souffres, je ne l’ignore pas non plus, attends et souffre encore, me voici, j’arriverai incessamment. Mais à celui qui aime, le retard est pénible ; semblable à un lis qui croît au milieu des épines, cette âme chante et soupire ; écoute-la ; voici ses paroles : « Je chanterai votre louange, et je connaîtrai les voies de l’innocence, quand vous viendrez à moi[3] ». Mais, dans cette voie de l’innocence, elle est, avec raison, à l’abri de la crainte ; car « la charité parfaite chasse la crainte ». Et quand elle s’approche de son Dieu, elle craint, mais elle est plus tranquille. Qu’appréhende-t-elle ? Elle se tiendra sur ses gardes, elle se mettra à l’abri de ses passions, elle s’efforcera de ne plus pécher, non pour n’être pas jetée au feu éternel, mais pour n’être point abandonnée de Dieu. Et alors, qu’y aura-t-il en elle ? Une crainte pure, qui demeure éternellement. Nous avons entendu deux flûtes parfaitement d’accord entre elles : l’une parle de la crainte, l’autre aussi ; mais quand celle-là parle de la crainte en vertu de laquelle on redoute d’être condamné, celle-ci nous parle de là crainte d’une âme qui tremble de se voir abandonnée. La première est, chassée parla charité, la seconde demeure éternellement.


9. « Aimons Dieu, puisqu’il nous a aimés a le premier ». Car comment l’aimer, s’il ne nous avait aimés le premier ? En l’aimant, nous sommes devenus ses amis ; mais pendant que nous étions ses ennemis, il nous a aimés afin que nous devinssions ses amis. Il nous a aimés le premier, et c’est de lui que nous avons reçu la grâce de l’aimer. Nous ne l’aimions pas encore ; l’amour que nous avons pour lui, nous embellit à ses yeux. Que fait unhomme

  1. Ps. 33, 17
  2. Id. 1, 2, 5
  3. Ps. 100, 1-2