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NEUVIÈME TRAITÉ.

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « L’AMOUR DE DIEU EST PARFAIT EN NOUS », JUSQU’À CES AUTRES : « ET C’EST DE DIEU MÊME QUE NOUS AVONS REÇU CE COMMANDEMENT : QUE CELUI QUI AIME DIEU, AIME AUSSI SON FRÈRE ». (Chap. 4, 17-21.)

LA CONFIANCE AU JUGEMENT.

Nous avons une preuve de l’existence de la charité en nous dans la confiance que nous inspire le jugement. Si, au lieu de le craindre comme font ceux qui commencent à être parfaits, nous désirons le voir venir, c’est que nous sommes, comme Dieu, charitables, même envers nos ennemis ; c’est que nous avons en nous la charité parfaite. Cette charité doit y être précédée parla crainte ; mais quand elle y est une fois établie, la crainte disparaît, et notre justice devient elle-même parfaite. A côté de cette crainte imparfaite par où commence la charité parfaite, se trouve une crainte pure qui demeure même avec cette charité ; elle consiste à redouter d’être séparé de Dieu : elle s’inspire donc du véritable amour divin. Celui que domine la crainte imparfaite, doit se souvenir incessamment de la présence de Dieu, et il ne péchera plus ; l’autre vit saintement et il a confiance de ne pas être délaissé par le Seigneur : il a confiance dans le jugement. Pour en être là, aimons Dieu, nous lui devons la réciprocité : aimons aussi nos semblables, car l’amour de Dieu et celui du prochain sont inséparables.
1. Votre charité s’en souvient, il nous reste à traiter et à vous expliquer, aussi bien que Dieu noua en fera la grâce, la dernière partie de l’Épître de l’apôtre Jean ; nous n’oublions point notre dette, et vous ne devez pas vous-mêmes oublier de nous en demander le paiement. La charité, que cette Épître nous recommande par-dessus tout et presque exclusivement, nous porte à remplir, avec la plus scrupuleuse fidélité, nos engagements, et fait de vous les plus bienveillants des créanciers. Je vous donne le nom de créanciers bienveillants, parce que, où ne se trouve pas la charité, il n’y en a que de durs ; mais où elle se rencontre, celui-là même qui exige le paiement d’une dette le fait avec douceur ; et pour celui qui est forcé de remplir ses engagements, lors même qu’il lui faut s’imposer quelque peine, la charité rend cette peine si légère qu’elle en devient presque nulle. Prenons un exemple parmi les êtres vivants privés de parole et de raison, animés des sentiments d’une charité, non pas spirituelle, mais purement charnelle et naturelle ; leurs petits n’exigent-ils pas, mais avec une vive amitié, le lait des mères ? Quoiqu’ils se jettent brusquement sur ses mamelles pour les sucer, la mère aime mieux les voir ainsi, que les voir ne pas téter et ne pas exiger d’elle ce que leur doit son affection. Nous voyons souvent des génisses déjà grandes frapper à coups de tête la mamelle et soulever, en quelque sorte par là, le corps de leur mère, sans néanmoins en recevoir de coups de pieds qui les éloigne ; et même, quand le veau n’est point là pour sucer son lait, elle l’appelle par ses mugissements. Par conséquent, si nous avons en nous cette charité spirituelle dont parle l’Apôtre quand il dit : « Je me suis rendu petit parmi vous, comme une nourrice pleine de tendresse pour ses enfants[1] », nous aimons à vous voir exiger de nous l’acquit de nos dettes. Nous n’aimons point ceux qui se montrent lents à le faire, car nous avons peur de ceux qui manquent de zèle. Nous avons dû interrompre la suite du texte de cette Épître, en raison de leçons importantes qu’il nous a fallu y intercaler à cause de certains jours de tête, leçons dont nous nous sommes borné à vous donner la lecture sans vous en donner l’explication. Reprenons donc aujourd’hui l’ordre interrompu, et que votre sainteté écoute avec attention ce qui nous reste à lui dire. Je ne sais s’il est possible de nous recommander la charité en des termes plus élevés que ceux-ci : « Dieu est amour ». Eloge bref, mais admirable ! Eloge en peu de mots, mais plein de magnificence dans les idées qu’il éveille ! Que c’est bientôt dit : « Dieu est amour ! » Oui, c’est court ; un mot, voilà tout ; mais pèse ce mot, combien il dit de choses ! « Dieu est amour ; et celui qui demeure dans l’amour

  1. 1 Thes. 2, 7