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Car nous ne devons pas désirer qu’il y ait des malheureux, pour avoir l’occasion de faire des œuvres de miséricorde. Tu donnes du pain à celui qui a faim ; mais il vaudrait mieux que personne n’eût faim, et que tu ne fusses généreux à l’égard de personne. Tu donnes des vêtements à celui qui est nu ; plaise à Dieu que tous soient vêtus et qu’aucun ne se trouve dans la nécessité à cet égard ! Tu ensevelis les morts ; si seulement commençait bientôt cette vie bienheureuse ait sein de laquelle personne ne mourra ! Tu rétablis la concorde parmi des dissidents ; ah, que bientôt encore vienne cette paix de la Jérusalem éternelle, qui ne sera troublée par aucune discorde ! Tous les bons offices sont nécessités par le besoin d’autrui. Fais disparaître les malheureux, à l’instant même cesseront les œuvres de miséricorde. Les œuvres de miséricorde cesseront, mais le feu de la charité s’éteindra-t-il ? Tu aimes, de meilleur cœur, l’homme heureux à qui tu n’as à rendre aucun service ; en ce cas, ton amitié est plus pure et beaucoup plus sincère. De fait, si tu viens en aide à un malheureux, peut-être désires-tu t’élever au-dessus de lui ; peut-être veux-tu voir au-dessous de toi celui qui est la cause du bien que tu as fait. Cet homme s’est trouvé dans le besoin ; tu as subvenu à ses nécessités : parce que tu l’as aidé, il te semble être plus grand que celui à qui tu as rendu service. Désire l’avoir pour égal, afin que tous deux vous soyez soumis à Celui-là seul qui n’a besoin de rien.


6. En cela, l’âme orgueilleuse a dépassé les bornes, et s’est en quelque sorte montrée avare ; car « l’avarice est la racine de tous les maux[1] ». Il est dit encore : « Le commencement de tout péché est l’orgueil[2] ». Nous cherchons parfois à savoir comment peuvent s’accorder ces deux passages : « L’avarice est la racine de tous les maux » ; et : « Le commencement de tout péché est l’orgueil ». Si l’orgueil est le commencement de tout péché, il est évidemment la racine de tous les maux. Sans aucun doute, la racine de tous les maux est l’avarice ; l’avarice se trouve aussi dans l’orgueil, car l’homme avare excède les bornes. Qu’est-ce qu’être avare ? S’avancer plus loin qu’il ne faut : l’orgueil a fait tomber Adam : « L’orgueil », dit le Sage, « est le commencement de tous les maux ». Est-cel'avarice ? Quoi de plus avare que celui à qui Dieu n’a pu suffire ? Aussi, mes frères, nous lisons la manière dont l’homme a été fait à l’image et à la ressemblance de Dieu. Qu’est-ce que Dieu a dit de lui ? « Qu’il ait l’autorité sur les poissons de la mer, sur les « oiseaux du ciel et sur les animaux qui se « meuvent sur la terre[3] ». Dieu a-t-il ajouté Qu’il ait autorité sur les hommes ? « Qu’il ait autorité », par là, il lui a donné l’empire naturel. A l’égard de quels êtres ? « Des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des animaux qui se meuvent sur la terre ». Pourquoi cette puissance de l’homme, à l’égard de tous ces animaux, est-elle naturelle ? Parce que l’homme la puise dans ce fait qu’il a été créé à l’image de Dieu. En quoi a-t-il été créé à l’image de Dieu ? Dans son intelligence, dans son esprit, comme homme intérieur. En tant qu’il comprend la vérité, il distingue entre la justice et l’injustice, il sait par qui il a été créé ; il peut se faire une idée de, son Créateur et l’adorer. Quiconque est doué de prudence, possède aussi cette science. Aussi, comme beaucoup détruisent en eux l’image de Dieu parleurs passions mauvaises, et, à force d’immortalité éteignent cette sorte de flamme intelligente, l’Ecriture leur crie « Ne devenez point pareils au cheval et au mulet, qui manquent d’intelligence[4] ». C’est dire, en d’autres termes : Je t’ai placé au-dessus du cheval et du mulet ; je t’ai fait à mors image ; je t’ai donné l’autorité sur les animaux. Pourquoi ? Parce que les bêtes ne sont pas pourvues d’une âme raisonnable ; mais, comme tu en es doué, tu saisis la vérité, tu comprends ce qui est au-dessus de toi : sois donc soumis à celui qui est au-dessus de toi, et que les êtres, à la tête desquels tuas été placé, t’obéissent : Toutefois, l’homme ayant, par le péché, abandonné celui sous la dépendance de qui il devait vivre, il dépend de ceux qu’il devait dominer.


7. Remarquez que je dis : Dieu, l’homme, les animaux : par exemple, au-dessus de toi, Dieu ; les animaux au dessous. Reconnais l’autorité de Celui qui est au-dessus de toi, et ceux qui se trouvent au dessous, reconnaîtront la tienne. Aussi, Daniel ayant reconnu que Dieu était au-dessus de lui, fut reconnu par les lions, comme étant au-dessus d’eux[5]. Mais si tu ne reconnais pas ton Maître ;

  1. 1 Tim. 6, 10
  2. Sir. 10, 15
  3. Gen. 1, 26
  4. Ps. 31, 9
  5. Dan. 6, 22