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la chair, de cette concupiscence des yeux et de cet orgueil de la vie, impossible de trouver pour la cupidité humaine d’autres sources de tentations : c’est sous ce triple rapport que Jésus a été tenté par le démon. Il a éprouvé le désir de la chair, quand, après avoir jeûné, il a eu faim, et que Satan lui a dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à ces pierres qu’elles deviennent du pain ». Mais comment a-t-il éloigné de lui le tentateur ? Comment a-t-il appris au chrétien à se battre en soldat ? Ecoute avec attention sa réponse : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Le Christ a été tenté sur la concupiscence des yeux à propos de miracle, quand le démon lui a parlé en ces termes : « Jette-toi d’en haut, car il est écrit qu’il t’a a confié à ses anges et qu’ils te porteront dans leurs mains, de peur que ton pied ne heurte contre la pierre ». Il a résisté au tentateur, car, en opérant un prodige, il aurait semblé n’agir que parce qu’il cédait aux suggestions du malin esprit ou parce que la curiosité le poussait ; il en a fait quand il a voulu, comme Dieu, mais dans le seul but de soulager des infirmes. Si, à l’instigation du démon, il avait opéré un prodige, on aurait eu lieu de croire qu’il avait voulu, en quelque sorte, faire un miracle uniquement pour en faire un ; mais pour détourner des hommes une telle pensée, il fit une réponse que tu dois écouter attentivement, afin de la faire aussi toi-même lorsque tu seras en butte à pareille tentation : « Arrière, Satan ; car il est écrit : Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu ». C’est-à-dire, si je fais ce que tu me dis, je tenterai Dieu. Voilà sa réponse : il veut qu’elle soit aussi la tienne. Lorsque l’ennemi te suggère cette pensée : Quel homme, quel chrétien es-tu ? Jusqu’à ce jour, as-tu fait seulement un miracle ? Où sont les morts que tes prières ont fait sortir du tombeau ? Quels fiévreux as-tu guéris ? En réalité, si tu étais de quelque valeur, tu opérerais quelque prodige. Réponds-lui en ces termes : « Il est écrit : Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu ». Je ne tenterai donc pas. Dieu, comme si un prodige opéré par moi devait être la preuve que je lui appartiens ; comme si, en ne faisant pas ce miracle, je prouvais que je ne lui appartiens nullement. Où sont ces paroles du Sauveur : « Réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel ? » A quel moment le Christ fut-il tenté sur la concupiscence des choses de ce monde ? Lorsque le démon le transporta sur un lieu élevé, et lui dit : « Je te donnerai tout a cela, si tu te prosternes devant moi et que tu m’adores ». L’orgueil de posséder un royaume terrestre, tel fut le sentiment que l’esprit de ténèbres voulut inspirer au Roi des siècles. Mais le Dieu qui a fait le ciel et la terre, foula aux pieds une pareille suggestion. Y a-t-il merveille à ce que le Seigneur remporte la victoire sur le démon ? Que répondit-il donc à celui-ci ? Ce qu’il veut te voir répondre à ton tour. « Il est écrit : Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu[1] ». Tenez-vous-en là, et vous ne serez jamais dominés par la concupiscence des choses du monde ; et par cela même que vous serez à l’abri de cette concupiscence, vous ne deviendrez les esclaves ni de la convoitise de la chair et des yeux, ni de l’orgueil de la vie, et vous ferez place à la charité qui s’approchera de vous, et vous aimerez Dieu. Que l’amour du monde habite en votre cœur, l’amour de Dieu ne s’y trouvera pas. Attachez-vous de préférence à aimer Dieu ; Dieu étant éternel, vous demeurerez aussi, comme. lui, éternellement ; car chacun de nous participe à la nature de l’objet qu’il affectionne. Aimes-tu la terre ? Tu seras terre. Aimes-tu Dieu ? Que te dirai-je ? Tu seras Dieu. Je n’oserais, de moi-même, tenir un pareil langage. Ecoutons les Écritures : « Moi, j’ai dit : Vous êtes des dieux ; vous êtes tous les enfants du Très-Haut[2] ». Si donc, vous voulez être des dieux ou les enfants du Très-Haut, « n’aimez ni le monde, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, la charité du Père n’est pas en lui. Parce que tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, ou convoitise des yeux ou orgueil de la vie, et tout cela ne vient pas du Père, mais du monde », c’est-à-dire de ceux qui aiment le monde. « Or, le monde passe avec sa concupiscence ; mais celui qui fait la volonté de Dieu, demeure éternellement, comme éternellement Dieu lui-même demeure ».

  1. Mt. 4, 1-10
  2. Ps. 81, 6