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ciel, il a voulu se planter en quelque sorte sur les rives du fleuve des choses terrestres. Les eaux de ce fleuve te poussent vers l’abîme ? Accroche-toi aux branches de cet arbre. L’amour du monde t’entraîne ? Embrasse fortement le Christ ; il est devenu temporel pour toi, afin de te rendre éternel ; car il est devenu temporel, de manière à demeurer lui-même éternel. Il a pris quelque chose du temps, sans rien perdre de son éternité. Pour toi, tu es né dans le temps, le péché t’a rendu temporel ; tu es devenu temporel par l’effet de tes fautes ; et lui s’est fait tel en raison de sa miséricorde, afin de te les pardonner. Lorsque deux personnes se trouvent dans la même prison, l’une en qualité de coupable, l’autre pour la visiter, quelle différence y a-t-il entre elles ? Il arrive parfois, en effet, qu’un homme entre dans une prison pour y rendre visite à son ami : on les y voit donc tous les deux en même temps ; mais quelle distance les sépare, et qu’ils sont différents l’un de l’autre ! Celui-ci s’y trouve retenu par sa faute, celui-là y a été amené par un sentiment d’humanité. Ainsi en est-il de notre condition ici-bas ; nous y étions captifs en punition de nos crimes ; la miséricorde y a fait descendre le Christ ; il s’est approché de nous pour briser nos chaînes, et non pour les river. Il a donc répandu son sang, il nous a rachetés, il a complètement changé notre avenir. Nous portons encore le fardeau de notre chair mortelle, mais nous espérons l’immortalité future ; les flots de la mer nous ballottent, mais l’ancre de l’espérance nous tient déjà fixés au port.


11. Mais n’aimons ni le monde, ni ce qui est dans le monde ; car ce qui est dans le monde, est « ou convoitise de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie ». Voilà, en trois mots, ce qui est dans le inonde ; par conséquent, personne ne peut dire : Dieu a fait ce qui est dans le monde, c’est-à-dire le ciel et la terre, la mer, le soleil, la lune, les étoiles, tout ce qui embellit la voûte du firmament. Qu’est-ce qui fait l’ornement de la mer ? Tous les poissons. Et, celui de la terre ? Les animaux, les arbres, les oiseaux. Tous ces êtres sont dans le monde ; c’est Dieu qui les a créés. Pourquoi donc n’aimerais-je pas les créatures du Tout-Puissant ? Que l’Esprit de Dieu se trouve en toi, pour te montrer qu’elles sont toutes bonnes ; mais malheur à toi, si tu viens à aimer les créatures et à oublier le Créateur ! Elles t’apparaissent revêtues de beauté ; mais combien plus magnifique est celui qui les a tirées du néant ? Que votre charité le remarque. Des comparaisons peuvent vous instruire, et vous empêcher de croire aux suggestions de Satan, quand il vous dira ce qui se dit d’habitude : Puissiez-vous trouver votre bonheur dans les créatures de Dieu ; car s’il les a faites, n’est-ce point pour votre avantage ? Sur de telles paroles, il en est qui s’enivrent, qui se perdent, qui oublient leur Créateur ; car, en usant sans mesure, et suivant toute l’ardeur de leurs convoitises, des choses créées, ils détournent leurs regards de celui qui les a faites. C’est de telles gens que l’Apôtre a dit : « Ils ont adoré et servi la créature plutôt que le créateur, qui est béni dans tous les siècles[1] ». Dieu ne s’oppose pas à ce que tu aimes ses créatures, mais il te défend de les aimer de manière à y trouver ton bonheur ; admire-les, fais-en l’éloge ; qu’elles te portent à aimer leur Auteur. Par exemple, mes frères, si un mari donne une bague à son épouse, et que celle-ci préfère la bague donnée en cadeau, au mari qui lui en a fait présent, n’affiche-t-elle pas, à l’égard de ce présent, des sentiments adultères, quoiqu’elle aime l’objet à elle donné par son époux ? Évidemment, oui ; elle aime le présent de son mari ; toutefois, si elle dit : Cet anneau me suffit ; aussi, je ne veux plus voir mon époux, qui est-elle ? Quelqu’un peut-il ne pas condamner une pareille folie ? Ne donne-t-elle pas à tous une preuve convaincante de la culpabilité de ses affections ? Tu donnes tes préférences à l’or de ton mari, au lieu de les donner à ton mari lui-même ; tu aimes, non pas ton époux, mais son anneau. S’il en est ainsi de toi, que tu reportes tes affections, non sur ton époux, mais sur la bague dont il t’a fait présent, et que tu désires ne plus le voir, il t’a évidemment donné des arrhes pour te repousser loin de lui, au lieu d’attacher ton cœur à sa personne. Mais si un époux donne des arrhes, c’est dans l’intention de se faire aimer dans l’objet de sa générosité. Puisque Dieu t’a donné tout ce qui est dans le monde, aime donc l’Auteur de ces diverses créatures. Il veut te communiquer bien plus que toutcela ;

  1. Rom. 1, 25