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soutenir que l’apôtre Jean vit toujours ; car, dans son sépulcre à Ephèse, il est plutôt plongé dans un sommeil que dans un réel état de mort. Pour preuve, on peut citer ce fait, qu’à son tombeau, la terre remue d’une manière sensible et paraît presque bouillonner sous l’effort de sa respiration, et soutenir cela constamment et avec opiniâtreté. Il est sûr que plusieurs y ajoutent foi, puisque quelques-uns regardent Moïse lui-même comme vivant encore ; car il est écrit que son sépulcre est inconnu [1], qu’il a apparu sur la montagne avec le Sauveur [2], et qu’on y a vu, en même temps, Élie, signalé, par l’Écriture, non comme mort, mais comme enlevé au ciel[3]. Cette opinion ferait supposer que le corps de Moïse n’a pu être ni placé en un lieu si dérobé qu’il fût impossible aux hommes de le découvrir, ni rappelé pour un moment à la vie par l’action de la Divinité, afin d’apparaître avec Élie à côté du Christ : les corps d’un grand nombre de saints n’ont-ils pas ressuscité pour quelques instants, au moment de la mort du Sauveur, et, après sa résurrection, n’ont-ils pas apparu à un grand nombre de personnes dans la ville sainte, comme l’atteste l’Écriture [4] ? Néanmoins, selon que je l’ai dit en commençant, certaines gens nient le fait de la mort de Moïse, malgré le témoignage positif de l’Écriture elle-même, qui l’affirme à l’endroit où elle dit qu’on n’a jamais pu découvrir nulle part la trace de son tombeau ; à plus forte raison, y a-t-il des personnes pour soutenir que Jean vit encore, et dort au sein de la terre, à cause de ces paroles du Sauveur : « Je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne ». Au dire de certaines personnes, et certaines Écritures, quoique apocryphes, mentionnent le fait, quand cet Apôtre donna l’ordre de préparer son sépulcre, il assistait plein de santé au travail des ouvriers : immédiatement après que la fosse eut été creusée, et qu’on eut mis la dernière main à la préparer, il s’y coucha comme dans un lit, et mourut. Si vous en croyez ceux qui interprètent en ce sens les paroles précitées du Christ, Jean n’était pas réellement mort, mais ressemblait seulement à un mort, au moment où il s’était couché dans sa tombe ; il dormait, quand on l’ensevelit, et l’on s’imaginait qu’il était privé de vie : ainsi demeurera-t-il, jusqu’à ce que vienne le Christ, et toujours il fera voir qu’il n’est pas mort par la poussière qui sortira de son tombeau, et cette poussière, à ce que l’on croit, il la soulèvera en dormant, par le souffle de sa respiration, de manière à la faire monter des profondeurs de sa fosse jusqu’au-dehors. J’estime qu’il serait oiseux de réfuter une pareille opinion. C’est à ceux qui connaissent le lieu de la sépulture de l’Apôtre de voir si la terre y remue et s’y tourmente, comme on veut bien le prétendre ; quoi qu’il en soit, des hommes graves nous ont affirmé la réalité du fait.
3. En attendant, ne nous opposons point à cette opinion, pour ne pas voir surgir une difficulté nouvelle, et ne pas être obligés de dire pourquoi la terre qui recouvre un corps mort semble vivre et respirer. Pour répondre à cette grave question ne peut-on pas dire Par un grand prodige, tel que le Tout-Puissant peut en opérer, un corps vivant n’est-il pas capable de dormir sous terre jusqu’à la consommation des siècles ? Mais alors se présente un autre embarras, une difficulté plus grande ; la voici : Jésus aimait Jean bien plus vivement que tous les autres disciples ; aussi lui permit-il de reposer sur sa poitrine ; pourquoi alors lui accorder, comme une insigne faveur, un long sommeil corporel, tandis que, par un très-glorieux martyre, le bienheureux Pierre fut délivré du poids de son corps et obtint la grâce après laquelle soupirait l’apôtre Paul, quand il prononçait et écrivait ces paroles : « Je désire être dégagé des liens de mon corps, et me trouver avec le Christ [5] ? » Supposé, au contraire, que, suivant l’opinion commune, Jean ait affirmé que le Sauveur a dit : « Il ne meurt pas », pour empêcher de donner à ces paroles de son Évangile un tel sens ; supposé aussi que son corps ait été aussi réellement privé de vie au moment où il fut mis dans le tombeau ; supposé enfin que ce qui se dit soit bien vrai, à savoir, que sur ce corps la terra se soulève et se gonfle, on peut toujours donner cette explication du fait : ou bien, il se produit pour faire connaître combien la mort de Jean a été précieuse devant Dieu, bien que le persécuteur ne l’ayant point fait mourir pour la défense de la foi, il ne se soit point illustré par le martyre ; ou bien, ce fait a lieu pour

  1. Deut. 34, 6
  2. Mt. 17, 3
  3. 2 R. 2, 11
  4. Mt. 27, 52, 53
  5. Phil. 1, 23