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mes brebis, et pais-les, non pas comme les tiennes, mais comme les miennes ; travaille à les faire concourir à ma gloire, et non à la tienne ; étends sur elles mon empire, et non le tien ; cherche en elles, non ton profit, mais uniquement mon avantage : par là, tu ne seras point de ceux qui aiment cette vie si dangereuse, qui fixent leurs affections sur eux-mêmes et sur tout ce qui se rattache à ce monde, source de tous les maux. Immédiatement après avoir dit : « Il y aura des hommes amateurs d’eux-mêmes », l’Apôtre continue en ces termes : « Avares, fiers, superbes, médisants, désobéissant à leurs pères et à leurs mères, ingrats, impies, irréligieux, dénaturés, sans foi et sans parole, calomniateurs, intempérants, inhumains, ennemis des gens de bien, traîtres, insolents, enflés a d’orgueil, ayant plus d’amour pour la volupté que pour Dieu, qui auront l’apparente de la piété, mais qui n’en auront pas la réalité[1] ». Tous ces maux dérivent, comme de source, du premier que Paul indique : « Amour de soi-même ». Aussi Jésus dit-il à Pierre : « M’aimes-tu ? » Et celui-ci répondit : « Je vous aime » ; et entend-il ces paroles : « Pais mes agneaux ». Voilà pourquoi ces demandes et ces réponses se renouvellent une seconde et une troisième fois. Ce passage est aussi la preuve que l’amour et la dilection sont une seule et même chose ; car, à la fin, le Sauveur ne dit plus : « As-tu pour moi de la dilection ? » Mais : « As-tu pour moi de l’amour ? Ne nous aimons donc pas nous-mêmes ; aimons Jésus, et, à paître ses brebis, cherchons son avantage et non pas le nôtre. Je ne sais comment il se fait que quiconque s’aime au lieu d’aimer Dieu, ne s’aime pas lui-même, et que celui qui aime Dieu au lieu de s’aimer, s’aime en réalité lui-même. Quand on aime celui qui donne la vie, ne pas s’aimer, c’est s’aimer véritablement : si, alors, on ne s’aime pas, c’est uniquement pour reporter ses affections sur celui qui nous donne la vie. Ils ne doivent donc pas être amateurs d’eux-mêmes, ceux qui paissent les brebis du Christ, afin de les paître, non comme les leurs, mais comme les siennes, et comme s’ils voulaient en retirer leur propre avantage à la manière « des amateurs de l’argent ». Ils ne doivent ni les commander comme « des superbes », ni s’enorgueillir des honneurs qu’elles leur procurent, comme des hommes « bouffis d’amour-propre », ni chercher à réussir jusqu’à devenir hérétiques, comme « des blasphémateurs », ni résister aux saints pères, comme des enfants « rebelles à leurs parents » ; ni rendre le mal pour le bien, « comme des ingrats », à ceux qui veulent les corriger pour les empêcher de périr ; ni donner le coup de la mort à leur âme et à celle des autres, comme « des assassins » ; ni déchirer le sein de l’Église, leur mère, comme « des gens sans religion » ; ni rester insensibles aux douleurs humaines, comme « des personnes dénaturées » ; ni s’efforcer de salir la réputation des saints, comme « des calomniateurs » ; ni se laisser entraîner sans résistance aux penchants les plus désordonnés, comme « des intempérants » ; ni susciter des chicanes, comme « des hommes sans douceur » ; ni refuser de secourir les malheureux, comme « des gens privés de sentiments d’humanité » ; ni faire connaître aux ennemis des vrais chrétiens, ce qu’ils savent destiné à rester inconnu, comme « des traîtres » ; ni blesser l’honnêteté naturelle par des procédés honteux, comme « des libertins » ; ni n’entendre ce qu’ils disent et ce qu’ils affirment[2], comme « des personnes aveuglées » ; ni préférer les plaisirs charnels aux joies spirituelles, comme « ceux qui ont plus d’amour pour la volupté que pour Dieu ». Qu’ils soient tous ensemble le partage du même homme, ou qu’ils appartiennent ceux-ci à l’un, ceux-là à l’autre, tous ces vices et leurs pareils sortent d’une certaine manière de la même racine, c’est-à-dire « de l’amour exclusif » des hommes « pour eux-mêmes ». Ce vice de l’égoïsme, voilà ce que doivent, avant tout, éviter ceux qui font paître les brebis du Christ, afin de ne pas rechercher leur avantage préférablement à celui de Jésus-Christ, et de ne point faire servir à la satisfaction de leurs convoitises ceux en faveur desquels le Sauveur a répandu son sang. Celui qui paît les brebis du Christ, doit avoir pour lui un amour si vif et porté à un si haut point, qu’il devienne supérieur à la crainte naturelle de la mort, qui nous saisit et nous épouvante, lors même que nous désirons vivre avec notre Rédempteur. En effet, l’apôtre Paul assure qu’il éprouve un ardent désir d’être dégagé des liens du corps

  1. 2Ti. 3, 1-5
  2. 1Ti. 1,7