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la lumière à l’aide de laquelle nous voyons que ces choses doivent être niées, repoussées et réprouvées, il faut nous l’imaginer de notre mieux, reconnaître combien elle est certaine, l’aimer pour nous élever ensuite et nous approcher des choses intérieures. Et puisque notre âme, faible et moins pure que ces choses, ne peut les pénétrer, qu’elle ne s’en laisse pas éloigner sans pousser un gémissement d’amour et sans verser des larmes de désir, qu’elle attende avec patience le moment où elle sera purifiée par la foi, et qu’elle se prépare par des mœurs saintes à y habiter un jour.

4. Comment donc ne serions-nous pas avec Jésus-Christ, où il est, quand nous serons avec lui dans le Père, dans le sein duquel il est ? Aussi, quoique nous ne soyons pas encore en possession de la réalité, et que nous en nourrissions seulement l’espérance, l’Apôtre n’a pas voulu nous le taire, et il nous dit : « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, cherchez les choses qui sont en haut, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu. Ayez du goût pour les choses qui sont en haut, et non pour celles qui sont sur la terre. Car vous êtes morts », ajoute-t-il, « et votre vie a été cachée avec Jésus-Christ en Dieu ». Ainsi donc, en attendant, par la foi et l’espérance notre vie se trouve où se trouve Jésus-Christ, elle est avec lui. Et voilà comment déjà s’est accompli ce que Notre-Seigneur demandait dans sa prière : « Je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi ». Mais maintenant nous n’y sommes que par la foi. Quand y serons-nous en réalité pour le voir à découvert ? « Quand Jésus-Christ, qui est votre vie », dit l’Apôtre, « vous aura apparu, alors vous apparaîtrez, vous aussi, avec lui dans la gloire [1] ». Alors nous apparaîtrons ce qu’alors nous serons. Car alors nous verrons que nous n’avons ni cru ni espéré inutilement ces choses avant de les posséder. C’est ce que fera Celui à qui le Fils dit : « Afin qu’ils voient la gloire que vous m’avez donnée », et qui ajoute incontinent« Parce que vous m’avez aimé avant la Constitution du monde ». Car, en lui, il nous a aimés nous aussi avant la constitution du monde, et alors il a prédestiné ce qu’il ferait à la fin du monde.

5. « Père juste », continue Notre-Seigneur, le monde ne vous a pas connu ». C’est parce que vous êtes juste qu’il ne vous a pas connu. Et c’est avec raison que ce monde prédestiné à la damnation ne l’a pas connu. Mais si le monde qu’il s’est réconcilié par Jésus-Christ l’a connu, ce n’est point par son propre mérite, mais par l’effet de la grâce. Qu’est-ce, en effet, que le connaître, sinon la vie éternelle ? Il ne l’a pas donnée au monde damné, mais il l’a donnée au monde réconcilié. Le monde ne vous a donc pas connu précisément parce que vous êtes juste, et en agissant de manière à ce qu’il ne vous connût pas, vous avez agi selon ses mérites ; mais si le monde réconcilié vous a connu, c’est parce que vous êtes miséricordieux, et pour l’aider à vous connaître, vous lui êtes venu en aide, non pas à cause de son mérite, mais par l’effet de votre grâce. Notre-Seigneur ajoute ensuite : « Mais moi, je vous ai connu ». Jésus-Christ comme Dieu est la source de la grâce ; mais comme homme, il est né du Saint-Esprit et de la Vierge par une grâce ineffable. Enfin, c’est à cause de lui, car la grâce de Dieu nous vient par Jésus-Christ Notre-Seigneur ; « et ceux-ci », ajoute-t-il, « ont connu que vous m’avez envoyé ». Voilà le monde réconcilié. Mais comme ils l’ont connu parce que vous m’avez envoyé, c’est donc par un don de la grâce qu’ils l’ont connu.

6. « Et je leur ai fait connaître votre nom, et je le leur ferai connaître encore ». Je le leur ai fait connaître par la foi, je le leur ferai connaître par la claire vision. Je le leur ai fait connaître dans le cours de leur pèlerinage ici-bas ; je le leur ferai connaître dans leur royaume éternel. « Afin », continue Notre-Seigneur, « que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux, et que moi aussi je sois en vous ». Cette locution : Dilectio quam dilexisti me, n’est pas en usage ; il faudrait dire : Dilectio qua dilexisti me. La première est tirée du grec ; cependant il y en a de semblables en latin ; car nous disons Fidelem servitutem servivit, strenuam militiam militavit, (il a servi avec fidélité, il a fait la guerre avec courage), tandis qu’il aurait fallu dire ; Fideli servitute servivit, strenua militia militavit. L’Apôtre a imité cette manière de parler: Dilectio quam dilexisti me, car il a employé une locution pareille, quand il a dit : Bonum certamen certavi[2], « j’ai combattu

  1. Col. 3, 1-4
  2. 2Ti. 4, 7