Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/93

Cette page n’a pas encore été corrigée

abîmes et des Chérubins, au-dessus de toutes les créatures, et corporelles et spirituelles, qui sont ses œuvres ; jusqu’à ce que l’âme arrive à lui, et que soit délivrée par lui son image qui est l’homme, et qui, à force d’être tourmentée dans ce gouffre et agitée par les flots, a été défigurée ; image toujours dans l’abîme si elle n’est renouvelée et restaurée par le même Dieu qui l’a imprimée en l’homme ; car l’homme qui a bien pu tomber par lui-même, est impuissant à se relever ; oui, dis-je, image qui demeure dans l’abîme, si Dieu ne l’en retire. Mais crier du fond de l’abîme, c’est sortir de l’abîme, et ce cri même empêche qu’on soit longtemps dans ces profondeurs. Ils sont bien dans les derniers abîmes, ceux qui ne crient pas même vers le Seigneur. « Quand le pécheur est descendu dans les profondeurs du mal, il méprise[1] ». Voyez, mes frères, s’il est un abîme plus profond que le mépris de Dieu. Quand un homme se voit chaque jour accablé de péchés, brisé en quelque sorte sous le poids, sous la Montagne de ses iniquités ; dites-lui de prier Dieu, il vous oppose le sarcasme. Comment cela ? Si mes péchés déplaisaient à Dieu, serais-je encore en vie ? Si Dieu prenait soin des choses d’ici-bas, après tant de crimes que j’ai commis, non seulement serais-je en vie, mais se pourrait-il que je fusse heureux ? Voilà en det ce qui arrive d’ordinaire à ceux qui s’engloutissent dans l’abîme, et qui sont heureux dans leur désordre ; plus ils semblent heureux, plus profond est leur abîme. Car un faux bonheur n’est qu’un surcroît de malheur. On dit encore : Puisque j’ai commis tant de fautes, et que ma damnation est proche, c’est perdre pour moi que ne point faire ce que je puis ; dès lors que je suis toujours perdu, pourquoi ne pas agir à mon gré ? C’est le langage des brigands les plus désespérés : Si le juge doit m’envoyer à la mort pour dix homicides, comme pour quinze, comme pour un seul, pourquoi ne point faire tout ce qu’il me vient à la pensée ? Tel est le sens de cette parole : « Quand le pécheur est arrivé au fond de l’abîme, il dédaigne ». Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui n’a point méprisé nos abîmes, qui a daigné descendre jusqu’à cette misérable vie, en nous promettant la rémission de nos péchés, a soulevé l’homme du fond de cet abîme, l’a forcé de crier sous le poids de ses fautes, afin que la voix de ce pécheur pût arriver jusqu’à Dieu. D’où pouvait-il crier, si ce n’est du fond des malheurs ?
2. Or, voyez que c’est de l’abîme que s’élève cette voix du pécheur : « Du fond de l’abîme, Seigneur, je crie vers vous ; Seigneur, exaucez ma prière. Que vos oreilles soient attentives à la voix de mes supplications ». D’où vient ce cri ? du fond des abîmes. Quel est l’homme qui crie ? le pécheur. Quelle espérance le fait crier ? l’espérance qu’a donnée au pécheur descendu dans l’abîme Celui qui est venu nous délivrer de nos péchés. Aussi qu’est-il dit après ces paroles ? « Seigneur, si vous examinez nos péchés, qui pourra subsister, ô mon Dieu ? » Voilà que le Prophète nous montre de quel abîme il pousse des cris. Il s’écrie sous les montagnes, sous les flots de ses péchés. Il s’est regardé, il a regardé sa vie, il n’a vu de toutes parts que les souillures des vices et du crime : nulle part il n’a vu le bien, ni pu découvrir un rayon de justice. À la vue de ses péchés si graves et si nombreux, à la vue de tant de crimes, il s’écrie dans sa stupeur : « Hélas ! Seigneur, si vous examinez les iniquités, qui pourra subsister devant vous, ô mon Dieu ? » Il ne dit point : Je ne pourrai soutenir votre présence ; mais : « Qui pourra la soutenir ? » Il voit que la vie humaine est un long aboiement du péché, que toutes les, consciences sont condamnées par leurs propres pensées, et qu’il n’est pas un cœur assez chaste pour présumer de sa justice. Si donc il n’est pas un cœur assez chaste pour avoir confiance en sa propre justice, que le cœur de tous les hommes se confie en la divine miséricorde, et s’écrie : « Seigneur, si vous examinez les iniquités, qui pourra subsister, ô mon Dieu ? »
3. Or, d’où vient l’espérance ? « Mais en vous il y a propitiation[2] ». Qu’est-ce que la propitiation, sinon le sacrifice ? Qu’est-ce que le sacrifice, sinon l’offrande que l’on a faite pour nous ? Un sang innocent a été répandu pour laver les péchés des coupables ; et une telle rançon a racheté tous les captifs de la puissance de l’ennemi qui s’en était rendu maître. Il y a donc en vous propitiation. Si vous n’étiez enclin à pardonner, si vous ne vouliez être qu’un juge sans miséricorde, examiner, rechercher toutes les iniquités, qui pourrait subsister ? qui pourrait se tenir en

  1. Prov. 18,3
  2. Ps. 129,4