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mais assieds-toi d’abord, tu te lèveras ensuite, « quand le Seigneur aura donné le sommeil à ses bien-aimés ».
8. Comme si tu demandais à quel bien-aimé ? « voilà », dit le Prophète, « que des enfants sont l’héritage du Seigneur, le fruit des entrailles aura sa récompense[1] ». Quand il dit « Le fruit des entrailles », il entend des fils enfantés avec douleur. Il est une femme en qui s’accomplit spirituellement ce qui est dit à Eve : « Tu enfanteras dans les gémissements[2] ». L’Église, qui est l’Épouse du Christ, lui donne des enfants, et pour elle, enfanter, c’est enfanter dans la douleur. C’est pour cela que Eve a reçu le nom figuratif de « mère des vivants[3] », Il était parmi les membres de celle qui enfante, celui qui disait « Mes petits enfants, que je mets au monde une seconde fois, jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous[4] ». Mais ce n’est point en vain qu’elle enfante et qu’elle souffre, elle verra la lignée des saints à la résurrection, elle verra les justes répandus aujourd’hui dans l’univers entier. Elle les forme par ces gémissements, les enfante par ses douleurs ; mais à la résurrection des morts on verra ces enfantements de l’Église, et il n’y aura plus ni douleurs ni gémissements. Et que dira-t-on alors ? « Des enfants, tel est l’héritage du Seigneur, et la récompense sera pour le fruit des entrailles ». C’est le fruit qui aura la récompense, et non pas qui sera la récompense[5]. Quelle est cette récompense ? De ressusciter d’entre les morts. Quelle est cette récompense ? De se lever après s’être assis. Quelle est cette récompense ? De goûter la joie après avoir mangé le pain de la douleur. Le fruit de quelles entrailles ? De l’Église ; c’est dans ces entrailles de l’Église que l’on voit ce qui arriva jadis en figure à Rébecca, deux jumeaux ou deux peuples en lutte[6]. Le sein d’une seule mère renfermait deux frères qui se faisaient la guerre avant de naître : ils agitaient par leurs discordes intestines les entrailles maternelles ; et leur mère gémissait et souffrait violence ; mais en les mettant au monde, elle fit un discernement entre les jumeaux qu’elle avait portés. Ainsi, mes frères, en est-il aujourd’hui de l’Église qui est dans les gémissements pendant qu’elle enfante ; elle porte dans son sein les bons et les méchants. Le fruit des entrailles, pour Rébecca, fut Jacob qu’elle aima. « J’ai aimé Jacob », dit le Seigneur, « et haï Esaü[7] » Tous deux étaient sortis du même sein : l’un mérite d’être aimé, l’autre d’être rejeté. C’est ainsi que le fruit sera pour les bien-aimés ; que la récompense sera pour le fruit des entrailles.
9. « Comme les flèches dans la main d’un homme puissant, ainsi seront les enfants de Dieu qu’on aura secoués[8] ». D’où est venu en effet, mes frères, ce grand héritage ? D’où est venue cette postérité si nombreuse, dont le psaume vient de nous dire : « Des enfants, c’est un héritage qui vient du Seigneur ; la récompense sera pour le fruit des entrailles ? » Comme on lance des flèches, le Seigneur a lancé quelques hommes de sa main puissante, et ils sont allés au loin, et ont rempli toute la terre, où germent les saints en grand nombre. Tel est en effet l’héritage dont il est dit : « Demande-moi, et je te donnerai les nations de la terre pour ton héritage, et les confins de la terre pour ton empire[9] ». Comment cette possession peut-elle s’étendre et s’accroître jusqu’aux confins de la terre ? C’est que, « comme sont les flèches dans la main d’un puissant, tels sont les fils de ceux qu’on a lancés ». On lance des flèches avec un arc ; plus est grande la force qui lance, et plus la flèche va loin. Or, quelle force est plus grande que celle de Dieu, lequel lance les flèches ? C’est de son arc qu’il lance les Apôtres et il n’est pas demeuré un coin de terre où n’ait pénétré la flèche lancée par un tel bras, elle est arrivée aux derniers confins du monde. Elle n’a pas été plus avant, parce que l’homme n’était point au-delà. Telle est en effet la force de Dieu, que s’il y avait au-delà du monde quelque endroit où sa flèche pût pénétrer, il y jetterait une flèche. Or, les fils de ceux qu’il a lancés ressemblent à leurs pères. Quelques auteurs qui ont expliqué les psaumes avant nous, se sont demandé, à propos de cette expression : Pourquoi dire les fils de ceux qu’on a lancés, ou que doit-on entendre par ces fils de ceux qu’on a lancés ; et plusieurs ont vu dans les fils de ceux qu’on a lances les fils des Apôtres, comme je viens de le dire.
10. Que votre charité veuille bien m’écouter encore un peu. On a demandé comment

  1. Ps. 126,3
  2. Gen. 3,16
  3. Id. 20
  4. Gal. 4,19
  5. Grec, tou karpou
  6. Gen. 25,22-23
  7. Mal. 1,2-3 ; Rom. 9,13
  8. Ps. 126,4
  9. Id. 2,8